À seulement vingt-cinq ans, Daniil Trifonov s’impose comme l’un des très grands pianistes d’aujourd’hui. En témoigne ce disque éblouissant.

À la fin des années 1830, Liszt répond à la demande pressante de la société parisienne, avide d’études : tout le monde veut travailler le nouveau piano, équipé
du double-échappement. Jusqu’en 1863, le compositeur va satisfaire le public… bien au-delà de ses espérances, repoussant sans cesse les limites de la technique pianistique.
Il faut être un peu fou, sinon sorcier, pour se lancer dans cette aventure au disque. Non que l’on craigne les baisses de tension inhérentes au concert, mais une certaine forme de lassitude peut s’infiltrer. Il faut aussi savoir raconter, tenir en haleine l’auditeur bercé par les mélodies chatoyantes et submergé dans le flot des traits et des octaves. C’est exactement ce que réussit Daniil Trifonov. Au fil de ses enregistrements, le pianiste russe gagne en puissance sans perdre son originalité. Il joue comme s’il s’appropriait l’œuvre, se libérant du carcan purement technique. Il pense autant en compositeur (ce qu’il est) qu’en interprète. Il n’a alors nul besoin de forcer ses doigts ni de paraître pour dominer. Son piano n’est jamais cassant ni massif. Il scintille comme dans Feux Follet et Chasse Neige. Plus encore, il sait distraire avec intelligence sans écraser le son avec une main gauche d’une fantastique sûreté, souple et précise à la fois. Nulle fioriture, pas de tempos improbables ni d’outrances, mais un piano équilibré et plus encore, élégant (La Leggierezza, La Campanella). Trifonov rejoint ainsi, par d’autres chemins, les très grandes versions des Études d’exécution transcendante, celles de Goerner (Cascavelle) sans la sagesse de ce dernier, et Cziffra (EMI), diabolique, et confirme sa place parmi les maîtres d’aujourd’hui.
À seulement 25 ans. Il faudra patienter jusqu’au 7 octobre pour découvrir l’intégralité de cette interprétation de très haut vol. Sur la plage 5 de notre CD des Chocs, l’Étude n° 7 « Eroïca », en donne un avant-goût.