Née à Osaka, Momo Kodama est une intime du piano français, puisqu’elle a déjà consacré des albums à Debussy et Messiaen. Pour son premier enregistrement chez ECM, le choix des Miroirs de Ravel avait quelque chose de quasi suicidaire face à une discographie bien établie, mais c’est évidemment un défi aussi pour tout interprète… Passé la trentaine, Ravel rassemblait l’un des recueils majeurs du répertoire du XXe siècle avec ces cinq pièces, dont deux furent en outre orchestrées, et dont la facture, à la fois étrange et neuve, n’appartient qu’à lui, loin des styles en vogue à l’époque. Sous les doigts d’une telle interprète, l’œuvre paraît d’autant plus surgir du néant que le son se dresse et évolue avec naturel. Est-ce le poids du corps, la combinaison du bras, de la main et des doigts, ou une conception si accomplie de la partition, qui fait que chaque note, chaque accord tombe avec autant d’évidence ? L’harmonie floue des Noctuelles, le bruissement d’un rythme discontinu : l’auditeur est littéralement suspendu à cet art de funambule. Avec la pièce suivante, la jubilation s’accroît, mais autrement. Le vol de ces Oiseaux tristes ferait pleurer les pierres du jardin de poupée de Ravel, à Montfort-l’Amaury. Un tel silence règne entre les notes, qu’on en reste coi, à savourer tant de subtilité, tant d’éloquence : de la magie pure. La tension ne retombe pas pour autant, mais s’apaise avec l’enchanteresse barcarolle d’Une barque sur l’océan, qui nous emporte au loin, à rêver sur le mouvement de l’onde en oubliant le chant éperdu de ces oiseaux funestes. Et si Messiaen se profile dans l’Alborada del gracioso, c’est pour mieux en aiguiller le rythme régulier, faire trébucher le bouffon dans sa danse espagnole, tandis qu’apparaît déjà La Vallée des cloches : magnifique portique vers un Orient contemplatif par cette interprète unique. Sans hésiter, Momo Kodama bouleverse la discographie des Miroirs de Ravel, où trônaient de grandes figures du passé (Perlemuter, Gieseking, Haas et Casadesus), comme celle, plus récente, d’Alexandre Tharaud.
Entre Ravel et Messiaen, l’élégance diffuse du Japonais Toru Takemitsu avec Rain Tree Sketch est une oasis de plénitude. La Fauvette des jardins de Messiaen est un festival de chants d’oiseaux non moins majestueux, où la pianiste éclaire le moindre détail, sans pour autant bousculer le rythme. Là encore, il faut apprécier ce jeu renouvelé et d’une liberté confondante – quel bain de jouvence !
Momo Kodama (piano)
" La Vallée des cloches "
Ravel : Miroirs. Takemitsu : Rain Tree Sketch. Messiaen : La fauvette des jardins
ECM « New Series » 4810426 (Universal). 2012. 66′
Nouveauté
Momo Kodama joue Ravel, Takemitsu et Messiaen
Radio Classique
Pour son premier enregistrement chez ECM, la pianiste Momo Kodama interprète trois œuvres majeures dont une version extraordinaire des « Miroirs » de Ravel.