Magistrale. Telle est la leçon de maîtrise instrumentale et d’intelligence musicale que donnent Jean-Guihen Queyras et Alexander Melnikov dans cette intégrale de l’oeuvre pour violoncelle de Beethoven. Il faut dire que pour Alexander Melnikov, ce corpus représente en quelque sorte l’aboutissement d’un parcours interprétatif entamé avec les Sonates pour violon et piano (en compagnie d’Isabelle Faust, CHOC de Classica n° 116) et poursuivi avec deux Trios (opus 70 n°2 et op. 97, CHOC de Classica n° 160, dans lesquels Jean-Guihen Queyras rejoint ses deux amis). Cela explique sans doute pourquoi ces Sonates pour violoncelle, en proposant moins de parti-pris et davantage d’accomplissement, s’avèrent supérieures encore à celles pour violon. Comment ne pas être admiratif devant cette communion technique et sensible, fruit d’un travail de longue haleine et d’une maturation aussi précieuse que nécessaire, seule capable de rendre chaque seconde de musique perpétuellement belle et intéressante ? À l’élégance et la profondeur de la sonorité du violoncelle répondent l’articulation et la projection du son d’une parfaite maîtrise du piano, en un équilibre et une complémentarité rarement entendus à ce niveau. C’est cette capacité à cerner parfaitement l’esthétique de chaque oeuvre, sans démonstration, outrance ou effet de manche, qui leur permet de délivrer des interprétations d’une justesse confondante et d’un naturel confinant à l’évidence, d’autant qu’en optant pour un vibrato non omniprésent et un piano moderne, ils évitent la querelle des Anciens et des Modernes.
Les deux Sonates opus 5 sont la véritable révélation de cet enregistrement ; les deux musiciens parviennent magistralement à se défaire des deux longs premiers mouvements en en maîtrisant l’architecture foisonnante tout en conservant leur véhémence, tout comme ils réussissent à révéler leur écriture encore classique ouvrant toutefois la voie à la modernité par des effets sonores alors inouïs. Leur Sonate op. 69 est un modèle de positionnement interprétatif, apportant ce qu’il faut de respiration personnelle par rapport à la partition pour traduire sans trahir. D’une vie permanente, d’une grande poésie aussi, Jean-Guihen Queyras et Alexander Melnikov y montrent des palettes d’émotions, de couleurs et d’attaques aussi précises qu’infinies, constituées au gré de leurs parcours respectifs, de la musique pré-classique sur pianoforte pour Melnikov à la musique contemporaine avec l’Ensemble Inter-Contemporain pour Queyras ; les résonances des attaques dans le scherzo en sont un bel exemple. Les deux Sonates opus 102 achèvent de nous convaincre : les superlatifs viennent les uns après les autres pour décrire le travail d’orfèvre fourni par ces deux chambristes – et non solistes – capables de retrouver ici la sonorité polyphonique de tel quatuor, là la puissance expressive de telle symphonie. D’une subtilité, d’une cohésion et d’un accomplissement instrumental et musical hors du commun, ces sonates s’imposent comme une étape obligatoire voire prioritaire de la discographie (ce que les variations en léger manque de fantaisie ne viendront pas contester) et installent définitivement Jean-Guihen Queyras et Alexander Melnikov au panthéon des musiciens d’aujourd’hui.
JEAN-GUILHEN QUEYRAS ET ALEXANDRE MELNIKOV : TRADUIRE SANS TRAHIR
Radio Classique
Les deux interprètes résolvent l'éternel débat au sujet de ces sonates pour violoncelle et piano de Beethoven : ni pour piano et violoncelle, ni pour violoncelle et piano, ces œuvres sont ici de véritables duos dans lesquels ils nous font entendre l'essence même de l'écriture du compositeur.