Sylvain Tesson : « Toute la vie de Rimbaud a été un mouvement »

Sylvain Tesson était l’invité de la matinale de Dimitri Pavlenko ce jeudi 27 mai. L’écrivain publie Un été avec Rimbaud, une invitation à redécouvrir l’un des plus grands poètes français. Cet ouvrage a également été une manière pour Sylvain Tesson, auteur épris de voyage et de mouvement, de vivre en poésie l’immobilisme du confinement.

Sylvain Tesson : « Le poète est celui qui part, celui qui s’en va »

A travers cet ouvrage, Sylvain Tesson souhaite faire vivre au lecteur l’expérience totale qu’est Arthur Rimbaud, poète atteint de dromomanie, l’impulsion pathologique du déplacement, une maladie dont Sylvain Tesson semble d’ailleurs présenter tous les symptômes : « La dromomanie est la pathologie du mouvement (…) il y a toujours chez Rimbaud l’idée du départ, la vocation de prendre la route, de ne jamais être là où on l’attend, c’est l’exact contraire de la position, de l’immobilité ». Cette volonté de fugue, de départ est donc essentielle dans la poésie de Rimbaud, mais aussi constitutive de sa pensée et de son mode de vie : « le poète est celui qui part, s’en va, trébuche souvent (…) toute sa vie a été un mouvement, mais pas uniquement un mouvement physique (…) Rimbaud voulait trouver une langue, réinventer le monde, inspecter l’invisible. Selon lui, le poète devait être un voleur de feu ».

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Cette volonté d’un nouveau départ est caractérisée par ce que Sylvain Tesson appelle le Projet R, la transformation totale du monde par la force des mots, une ambition qui montre bien l’immense pouvoir que Rimbaud prêtait à la littérature : « Le projet R est un projet Faustien, quasi-diabolique (…) C’est la volonté de tout refaire, tout redire, la volonté de recréer la réalité (…) ce projet est vécu et désiré par un garçon de 15 ans qui est convaincu que la poésie, la littérature et le langage est la moelle de l’être humain, que les mots sont capables de réinventer le monde ». Pour ce faire, le jeune Rimbaud met en place ce qu’on pourrait appeler une stratégie : « il faut trouver une langue, mais d’abord il détruit tout, casse, souille, et régénère avec les mots (…) Il expose son projet dans Une saison en enfer, et à la fin du recueil, après avoir injurié la beauté, il avoue qu’à présent il sait la saluer ».

 

Sylvain Tesson : « Rimbaud explore tout le spectre de la marche et du mouvement »

Arthur Rimbaud, marcheur acharné et agité, s’est déplacé à pied tout au long de sa vie, si bien que Sylvain Tesson identifie plusieurs périodes et états psychologique des promenades du poète : « Il y a la marche enchantée de sa jeunesse à travers la campagne, les poèmes de la douceur (…) La marche adolescente de découverte du monde, une marche rugueuse, âpre, révoltée, rebelle et difficile avec Verlaine à travers les villes d’Europe, avec un encanaillement dans les bas-fonds, les souterrains, les dédales (…) Puis il y a la suite, quand il raccroche et arrête d’écrire, on a l’impression que comme le monde ne l’écoutait pas il décide de partir en Afrique (…) Durant ces 10 années il essaye de gagner de l’argent mais sa vie est vouée à l’errance, c’est la marche difficile sous le soleil dans les cailloux d’Afrique ». L’auteur du Bateau ivre a donc exploré l’idée du mouvement jusque dans ses tréfonds : « il a exploré toutes les modalités du nomadisme, depuis l’enchantement presque médiéval à la folie du marcheur qui n’arrive plus à s’arrêter (…) tout le spectre de la marche et du mouvement, cette extraordinaire chose qui consiste à laisser défiler le temps et l’espace à travers soi » souligne Sylvain Tesson.

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Après avoir invité ses lecteurs à passer leurs étés avec Homère puis avec Rimbaud, quel sera le futur compagnon de route que Sylvain Tesson choisira ? De son propre aveu, Victor Hugo pourrait être le parfait contrepoint du météore Rimbaud : « quand on lit Hugo après avoir lu Rimbaud on s’aperçoit que Rimbaud a souffert de lui-même, des mots, de cette force qu’il avait en lui qui lui permettait de dire le monde (…) Victor Hugo, lui, a eu le talent de son génie, il savait quoi faire de cet extraordinaire volcan magmatique qui créait l’éruption des mots, il savait conduire son propos, dire des choses et assurer le développement d’une pensée (…) Rimbaud était envahi, dépassé par le cosmos qu’il avait en lui ».

Rémi Monti

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