Mathieu Bock-Côté était l’invité de la matinale de Guillaume Durand ce mercredi 21 avril. L’universitaire et essayiste Québécois publie La Révolution racialiste : et autres virus idéologiques aux éditions Presses de la cité, une critique de l’idéologie racialiste prenant racine aux Etats-Unis et dont il craint la diffusion à l’ensemble de la société occidentale.
Mathieu Bock-Côté : « La France et son universalisme est le contre-modèle de l’obsession raciale américaine »
Le meurtre de Georges Floyd par Derek Chauvin est le point de départ de la réflexion de Mathieu Bock-Côté sur la montée de l’idéologie racialiste aux Etats-Unis et dans le monde. Tout d’abord, selon lui, il n’est ni question de nuancer l’acte de l’ex-policier américain, ni de nier l’oppression de la communauté noire aux Etats-Unis : « la situation des Noirs américains est sans aucun doute l’un des grands scandales de l’histoire de la modernité (…) on a tous été bouleversés par cette scène-là et la condamnation de Derek Chauvin pour meurtre est un acte de justice nécessaire sur le plan collectif (…) il faut dénoncer ces actes sans la moindre nuance ». Ce que remet en cause Mathieu Bock-Côté, ce sont les parallèles et l’assimilation de toutes les communautés dites racisées à cette lutte racialiste américaine : « il faut distinguer l’Histoire des Etats-Unis qui est une Histoire très singulière de celle des autres sociétés occidentales (…) est-ce que parce que les Noirs américains sont dans cette situation que les populations issues de l’immigration ailleurs dans le monde occidental peuvent s’identifier simplement par la couleur de peau ? La réponse est non, il ne suffit pas de partager une couleur de peau pour partager une condition historique ou sociologique (…) On observe dans la mouvance indigéniste incarnée par Rokhaya Diallo une identification fantasmatique aux Noirs américains ».
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Le sociologue Québécois établit donc une singularité historique qui différencie la société américaine des autres sociétés occidentales : « en Europe les populations issues de l’immigration s’y sont installées globalement volontairement avec un désir de s’y intégrer, aux Etats-Unis les Noirs ont été amenés de force et on leur reproche d’être là ». Mathieu Bock-Côté n’accepte donc pas la théorisation du racisme systémique à partir du meurtre de Georges Floyd : « à partir de cette scène pouvons-nous généraliser la théorie du racisme systémique au Québec, au Canada, en France, en Suède ? Peut-on faire le procès de la police française ? C’est le lien que je refuse de faire ». Selon Mathieu Bock-Côté, l’antiracisme opère une inversion des valeurs faisant de l’universalisme la nouvelle forme de racisme : « On assiste à un renversement historique, selon Ibram X. Kendi, un des principaux idéologues de cette révolution racialiste, le vrai danger est le daltonisme social, cette idée de ne pas tenir compte de la couleur de peau dans l’organisation sociale ». Les Etats-Unis seraient à l’origine de la diffusion de ces idées qui s’étendent peu à peu au monde occidental et à un Québec au carrefour des idéologies française et américaine, pris en tenaille entre l’universalisme et la révolution racialiste : « La France et son universalisme est le contre-modèle de cette obsession raciale (…) elle résiste au nom d’un autre modèle, celui du refus de la race pour la valorisation de la nation et de la culture ».
Mathieu Bock-Côté : « Le racialisme est une idéologie étanche et régressive »
Les Etats-Unis sont à l’initiative de ce retour du discours racialiste dans l’espace public, et plus particulièrement ses campus universitaires : « on identifie à raison un rôle important des campus américains qui ont industrialisé une idéologie victimaire colonisant le discours (…) la nouvelle condition d’entrée dans l’espace public est aujourd’hui le fait d’être une victime de quelque chose ». Pour l’essayiste Québécois, une diffusion de ces idées à l’entièreté de la société occidentale n’est en aucun cas souhaitable : « je ne suis pas certain en regardant les Etats-Unis d’y voir un modèle d’émancipation et d’harmonie entre les communautés (…) ce racialisme est l’idéologie la plus étanche et la plus régressive qu’il soit (…) un Blanc ne peut pas devenir Noir, un Noir ne peut pas devenir Blanc, mais tout deux peuvent devenir Québécois ou Français, la nation nous rassemble tandis que la race nous condamne à l’imperméabilité ».
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Mais alors quel avenir pour les tensions raciales aux Etats-Unis ? Mathieu Bock-Côté craint que « le pessimisme soit devenu l’autre nom de la lucidité ». Alors que le pays est toujours en proie à « de vives tensions », le sociologue Québécois croit modérément dans la capacité de Joe Biden à résoudre ces conflits : « je confesse un pessimisme qui ne m’interdit pas l’espoir ». Mathieu Bock-Côté conclut par une tentative d’explication du contexte actuel par une analyse historique et une dernière mise en garde à l’égard de la diffusion du modèle américain : « le pays est toujours hanté par la figure historique de la guerre civile (…) on a parfois l’impression de deux nations dans un même pays (…) nous devrions nous garder de reproduire son modèle ».
Rémi Monti