L’historien et anthropologue Emmanuel Todd était l’invité de Renaud Blanc dans la matinale de Radio Classique, ce jeudi 3 février. Son livre, publié aux éditions du Seuil, « Où sont-elles ? Une esquisse de l’histoire des femmes » suscite beaucoup de réactions négatives de la part des féministes. L’historien se défend en assurant avoir « une éthique de la vérité ».
Emmanuel Todd pointe un féminisme hypocrite qui va à l’encontre des plus fragiles
Comment est né ce livre, Emmanuel Todd ? Est-ce qu’il est lié à #Metoo ?
Le phénomène m’a interpellé en tant que chercheur, et même un peu agacé. J’étais étonné de voir quelque chose qui semblait plutôt caractéristique du monde anglo-américain, un antagonisme, une opposition entre hommes et femmes. Or le féminisme « à la française », c’est plutôt le journal Elle de la grande époque, c’est-à-dire une bonne entente entre hommes et femmes. Aux États-Unis, l’antagonisme vient pour moi d’un fonds protestant, de culture patriarcale et hostile aux femmes, alors que le catholicisme était plus ambivalent.
Vous montrez aussi dans ce livre qu’on a connu trois phases dans le féminisme, le droit de vote en 1945, la révolution sexuelle lors des années 60/70, et là, on est dans un féminisme qui ne concernerait pas toutes les femmes et qui serait excluant ?
Les deux premières vagues ont été menées par des femmes des classes moyennes supérieures – en simplifiant énormément – mais bénéficiait clairement à toutes les femmes. Ce qu’on vit actuellement est une sorte de crise idéologique dans un univers beaucoup plus restreint, un petit peu plus bas socialement, et c’est clairement mauvais. Cela a des conséquences plutôt désastreuses dans les milieux populaires, c’est-à-dire les régions sociales où l’entraide entre hommes et femmes est la plus nécessaire pour la survie économique.
A lire aussi
Vous parlez d’un féminisme hypocrite qui va à l’encontre des plus fragiles socialement.
Le livre étudie aussi toutes les nouvelles expérimentations identitaires, sur le genre, les transgenres, etc. Il le fait d’une façon bienveillante d’ailleurs, mais je note que les catégories sociales qui portent ces préoccupations idéologiques, particulièrement dans le monde anglo-américain, sont des classes moyennes qui reviennent vers la stabilité du couple. Ils ont des comportements économiquement très rationnels de solidarité du couple, et ils proposent finalement cette expérimentation aux jeunes générations, qui vont avoir des problèmes économiques. On a changé d’hypocrisie, celle bourgeoise du 19ème siècle, puritaine en apparence, mais qui allait voir des prostituées et autorisait les jeunes hommes à trousser les bonnes. Maintenant on est une hypocrisie inversée, avec des classes moyennes qui proposent un dépassement de la condition humaine, libérale, mais qui en cachette, sont en train de revenir à des conceptions de la vie familiale beaucoup plus traditionnelles, sécurisantes.
Certaines féministes dénoncent des provocations dans votre livre, notamment quand vous dites que le patriarcat n’a pas disparu, car il n’a jamais existé chez nous.
Nous sommes les héritiers des chasseurs-cueilleurs : les rapports entre hommes et femmes, pour l’essentiel de la vie concrète, de la survie économique, sont égalitaires et on ne pourrait pas survivre autrement.
Des idéologies néo-féministes très étranges et dépassées, selon Emmanuel Todd
Emmanuel Todd, vous parlez dans votre livre de matridominance, qui se verrait à travers les résultats scolaires des femmes, qui font plus d’études aujourd’hui que les hommes, et ce depuis au moins 50 ans.
Il y a une claire suréducation des femmes par rapport aux hommes, mais il subsiste une pellicule de patridominance éducative à travers les grandes écoles et les formations scientifiques. Je dirais qu’on a des classes moyennes matridominantes et une classe supérieure qui reste patridominée.
Certaines féministes vous traitent de réactionnaire. Est-ce que vous n’éprouvez pas un fond de nostalgie de ce qu’étaient les rapports entre les hommes et les femmes ?
Oui, il y a un fond de nostalgie, mais aussi d’ironie. Je pense que le néo-féminisme, quelque part, est déjà périmé. C’est le dernier produit d’une époque où les gens ne pensaient qu’en termes d’améliorations sociétales. Or on entre dans une période de très grande difficulté économique, liée notamment à l’inflation. La société occidentale a devant elle un appauvrissement sans doute assez massif, qui rend ces idéologies néo-féministes très étranges et dépassées.
Béatrice Mouedine