Pap Ndiaye, le successeur de Jean-Michel Blanquer au ministère de l’Education nationale, ne laisse pas la presse indifférente, à la fois par son parcours et par la signification de son entrée au gouvernement. Le journal Les Echos résume ce parcours en un mot : c’est l’anti-Blanquer à l’éducation, la surprise d’Emmanuel Macron pour son second quinquennat.
Pap Ndiaye n’est pas là pour écrire des programmes d’histoire mais pour réparer une machine éducative épouvantablement défaillante
Pap Ndiaye est fils d’enseignant par sa mère, enseignant lui-même et marié à une enseignante. Normale Sup, Doctorat à l’EHESS, il aurait pu tenter l’ENA mais ses études aux Etats-Unis le conduisent à se pencher sur la question afro-américaine. Voilà qui va changer sa vie, explique Les Echos et lui faire dire qu’il est à la fois un produit de l’école républicaine française mais également de l’affirmative action (la discrimination positive américaine). De retour en France il va se spécialiser dans l’étude des minorités, en 2008 il publie « La condition noire, essai sur une minorité française » (éditions Calmann-Lévy). Il participe à la fondation du CRAN, le Conseil Représentatif des Institutions Noires. Ses prises de position lui valent le qualificatif d’indigéniste mais il s’oppose pourtant à la suppression du mot race de la Constitution. L’historien qui, pour entrer au ministère, quitte ses fonctions de directeur du Musée de l’immigration se définit lui-même : « plus cool que woke ».
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Il n’empêche, sa nomination vue par les journaux n’est pas si « cool ». Selon L’Obs le nouveau ministre fait face aux tirs de barrage de l’extrême droite. Valeurs actuelles cite ainsi Marine Le Pen : « un choix de provocation, terrifiant, qui défend l’indigénisme et le racialisme ». L’hebdomadaire cite encore Eric Zemmour : « c’est la déconstruction en marche ». Au Figaro et à L’Opinion, on s’interroge sur la cohérence politique du choix d’Emmanuel Macron. Avec cette surprise, le président peut avoir deux idées en tête explique Olivier Auguste pour L’Opinion. Couper l’herbe sous le pied de Mélenchon en vue des législatives. Par ses origines franco-sénégalaises, son métier de professeur et son travail sur les minorités, l’historien peut séduire les enseignants ou les jeunes de banlieues, des publics de cette gauche. Deuxième idée du président, mettre en confiance le monde de l’éducation pour mieux le réformer, car Pap Ndiaye n’est pas là pour écrire des programmes d’histoire mais pour réparer une machine éducative épouvantablement défaillante. Mais justement, la personnalité même de Pap Ndiaye rend la définition d’une ligne macroniste plus impossible que jamais. Ce sont les risques du « en même temps » expression qui fait la une du Figaro. Sa nomination suscite le doute sur ce que sera la politique éducative du nouveau gouvernement.
Emmanuel Macron l’a choisi car Pap Ndiaye a travaillé avec ses conseillers
Le Figaro a la bonne idée de recueillir la parole de quelques intellectuels. Prenez par exemple la militante anti raciste Rokhaya Diallo : « le travail qu’il a fait sur les minorités est fondateur. Contrairement à moi il nie le racisme d’Etat, il a toujours à cœur de faire preuve de consensus alors que je revendique une approche plus radicale ». Voici la réaction du philosophe Alain Finkielkraut : « Pap Ndiaye ne s’est jamais exprimé sur l’effondrement de la connaissance et la crise de la transmission ». Benjamin Stora son prédécesseur à la tête du musée de l’Immigration assure que « ses propos flirtant avec l’indigénisme ne sont pas compatibles avec l’éloge de la République qui a été le sien durant la passation de pouvoir, il va devoir choisir ». Enfin pour l’historien Pierre-André Taguieff, Ndiaye adhère bien aux deux marqueurs de la mouvance décoloniale : « d’abord l’Occident coupable de tous les malheurs de l’humanité, et il prend au sérieux la notion de race pour déconstruire le privilège blanc, c’est d’ailleurs pour cela qu’il s’opposait à la suppression du mot race de la Constitution ».
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Libération livre un autre son de cloche et vous explique pourquoi Macron a choisi ce profil aux antipodes de celui de Jean-Michel Blanquer. Eh bien si Macron l’a choisi c’est qu’en toute discrétion Ndiaye a travaillé avec ses deux « conseillers Afrique » qui ont sollicité l’universitaire sur la question coloniale, les relations entre la France et l’Afrique. Il est consulté pour le sommet Afrique/France de Montpellier, peut-être aussi, laisse entendre Libération, pour le discours de panthéonisation de Joséphine Baker sur laquelle il prépare un livre depuis plusieurs années. Et si tout cela n’était qu’une affaire de culpabilité et de souffrance ? Un proche conseiller du Président l’affirme à Libération, Emmanuel Macron souffre du regard que la gauche a sur lui. Il poursuit : « c’est l’histoire des Mains sales de Sartre. Emmanuel Macron pense que lorsqu’on agit, c’est toujours plus compliqué que lorsqu’on se contente de commenter. Là, le président trouve avec Pap Ndiaye un intellectuel qui va pouvoir faire bouger les profs ». Un autre conseiller glisse à Libération « on fait le pari qu’avec Pap Ndiaye il a un présupposé de confiance et que les profs vont lui donner sa chance ». En politique compter sur la chance c’est toujours un peu risqué. Demandez donc à Damien Abad.
David Abiker