Thibault de Montbrial était l’invité de Renaud Blanc ce mardi 23 novembre sur Radio Classique. Avocat et président du CRSI, le Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure, il est revenu sur les questions liées aux violences en France : émeutes en Guadeloupe, manifestations anti-pass sanitaire, violences dans les stades de football.
Des armes et des munitions ont été dérobées dans les locaux de la douane en Guadeloupe
Emmanuel Macron a qualifié hier la situation en Guadeloupe d’« explosive ». L’île est actuellement en proie à de nombreuses violences liées notamment au contexte de la pandémie de covid-19 et ses restrictions, Thibault de Montbrial explique que « ce sont des terres qui ont des problèmes sociaux considérables et qui ont également une tradition de la violence ». Une violence qui n’est évidemment pas généralisée à toute la population mais qui reste tout de même une violence « extrême » selon lui. Le président du CRSI rappelle que c’est d’ailleurs le département qui recense le plus de tirs à l’arme à feu contre les forces de l’ordre. Il y aurait donc des raisons d’être inquiets quant à la situation. S’il ne s’agit que d’une minorité de la population, elle reste une minorité forte et « qui a l’habitude de cette violence ».
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L’avocat déplore également le vol d’un entrepôt de la douane en Guadeloupe et dont le butin était composé de six armes à feu et surtout de munitions. De nombreux habitants – qu’ils soient guadeloupéens ou métropolitains- sont inquiets de la situation actuelle et « il suffirait d’un rien pour qu’il y ait un engrenage vers des morts ». Si la situation venait encore à se dégrader, l’avocat considèrerait que la crise changerait de nature et nous n’en sommes à priori, plus très loin selon ses dires. Si cela ne va pas forcément arriver, il qualifie la chose de « vrai risque ». Avec un coût de la vie plus élevé qu’en métropole, un chômage deux fois plus important avec un jeune sur deux sans emploi et un taux de pauvreté supérieur à la Seine-Saint-Denis, la situation a de quoi inquiéter en Outre-mer.
Jean Castex a distingué la question sécuritaire de la question sociale
Le risque de contagion de ces violences aux territoires voisins serait un risque réel puisqu’il existe déjà des agitations en Martinique (des policiers et des pompiers ont été la cible de tirs d’armes à feu depuis la diffusion de l’interview NDR) et des revendications antivax en Guyane. Il y a également un facteur qui peut venir se rajouter à ce tableau le 12 décembre selon Thibault de Montbrial. En effet, le 3è référendum sur l’indépendance en Nouvelle-Calédonie pourrait bien venir envenimer la situation des territoires d’Outre-mer avec « des tensions considérables attendues ». Jean Castex a distingué la question sécuritaire de la question sociale et l’image d’autorité de l’exécutif peut être de facto questionnée. Thibault de Montbrial souligne le risque d’un effet « loupe » en particulier à quelques mois de l’élection présidentielle. Selon lui, la montée d’Éric Zemmour et les choix de campagne des Républicains montrent que l’autorité de l’Etat est au cœur de cette campagne, « non pas parce que c’est un sujet électoral mais parce que c’est un sujet tout court » affirme-t-il.
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Les préoccupations électorales sont pour l’avocat, le reflet des réalités du pays. Le spécialiste montre du doigt un réel problème d’autorité en France. La crise qui se déroule actuellement en Guadeloupe -et qui n’a sans doute pas atteint son paroxysme- sera donc un réel « test pour l’Etat et le président de la République ». S’il y a eu une instance de dialogue avec Jean Castex, le dialogue semble tout de même compliqué à établir en France. Thibault de Montbrial rapporte que les chiffres « de la violence grave c’est-à-dire la violence physique » sont en forte hausse et en particulier contre les représentants de l’autorité de l’Etat et ce, même avec les élus. Entre le 1er semestre 2019 et celui de 2021, les violences auraient augmenté de 10% en France. Un chiffre d’une grande importance pour le président de la CRSI puisque cela signifierait qu’ « elle gagne du terrain et devient surtout un mode de résolution du conflit ».
Thibault de Montbrial : « Aujourd’hui dès qu’il y a un mouvement social, il est gangrené par de la violence »
Au sujet de la pandémie de Covid-19, qui donne lieu à des manifestations violentes en Europe, on constate que la France est pour l’instant plutôt épargnée. Mais Thibault de Montbrial nous rappelle toutefois que le pays a connu des manifestations antivax assez difficiles cet été mais qui sont restées éphémères. L’avocat affirme pourtant : « aujourd’hui dès qu’il y a un mouvement social il est gangrené par de la violence à l’encontre notamment des forces de l’ordre ». Une situation qui reste tout de même très différente des scènes de violences en Belgique ou en Hollande comme on a pu le voir dernièrement. « Les peuples européens sont sous très grandes tensions » clame-t-il et cette question du vaccin serait un exutoire qui cristalliserait des problèmes plus profonds. Thibault de Montbrial appelle toutefois à rester prudent car ces manifestations empreintes de violence « sont des indicateurs inquiétants sur la pérennité de nos sociétés ». Peut-on pour autant parler d’une fracture dans la société française entre les personnes vaccinées et celles qui ne le sont pas ? Selon l’avocat il s’agit là d’un fait avéré même si « cette fracture n’engendre pas systématiquement des violences ». L’exemple du vaccin serait un vrai sujet dans les entreprises et une parfaite illustration d’un point de crispation majeur de notre société. Thibault de Montbrial ne manque pas de rappeler que la sécurité est l’exercice des libertés. Elle est selon lui, « la base du contrat social ». En revanche, cette question de sécurité ne ferait aucunement référence à un quelconque clivage droite/gauche sur l’échiquier politique.
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« Pour jouir de son pouvoir d’achat il faut être en sécurité »
Le président de la CRSI évoque d’autres considérations comme le pouvoir d’achat par exemple, qu’il qualifie de « considération individuelle » tandis que la sécurité serait une « exigence collective ». « Pour jouir de son pouvoir d’achat il faut être en sécurité » nous dit-il. Et pour cela, il faudrait absolument rétablir la sécurité et l’autorité de l’Etat pour que chacun puisse s’épanouir sur le plan individuel, personnel et économique. Thibault de Montbrial prend l’exemple de certains commerces de Lyon, fermés à 17 h car les vigiles y ont été agressés, donnant lieu à une impossibilité de maintenir l’ordre devant ces supermarchés. L’avocat interroge : « où est la liberté des gens de profiter de leur pouvoir d’achat ? ». Autre évènement de violence notifié lors de cette interview, celle présente au sein des stades de football. Une réunion gouvernementale doit se tenir aujourd’hui pour pallier ces dérives. Une réunion attendue depuis le match qui opposait l’équipe de Nice à celle de Marseille au mois d’août. S’il rappelle que la violence dans les stades a toujours existé, Thibault de Montbrial signale toutefois une augmentation du degré de celle-ci car elle cible maintenant les acteurs c’est-à-dire les joueurs de foot eux-mêmes. La fréquence de ces agressions témoignerait également de la violence actuelle. « C’est un reflet de la société mais il existe des solutions, il faut que chacun assume son autorité » dit l’avocat. Car selon lui, il est grand temps que l’Etat se réaffirme et fasse preuve d’une autorité de manière coercitive.
Ondine Guillaume