Guerre en Ukraine : Le Donbass, ultime objectif pour Vladimir Poutine ?

Mikhail Klimentyev/AP/SIPA

La région du Donbass en Ukraine est devenue en moins de 6 mois le centre stratégique d’une guerre capable de bouleverser le visage de l’Europe. Au fur et à mesure que le conflit avance, il semblerait que les Russes prennent l’avantage dans la région et pourraient être ainsi tentés de continuer leur progression dès que ce territoire sera pleinement occupé.

13 000 personnes sont mortes dans le Donbass en 8 ans à cause de la guerre

Le Donbass, c’est ce bassin houiller, vestige industriel de l’ère soviétique, situé à l’est de l’Ukraine dont on vous parle depuis le 24 février. Ça ne vous aura pas échappé, il est l’objet de toutes les attentions militaires depuis que l’envahisseur russe a entrepris de conquérir l’Ukraine. En réalité, les combats sont quotidiens dans la région depuis 8 ans mais pudiquement notre attention médiatique l’avait laissé à l’écart. On préférait se concentrer à juste titre sur l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan ou encore le Mali où les guerres étaient plus intenses et où, dans certains cas, nous Français, avions des troupes engagées. Nous avons donc négligé ce petit bout de terre, sans s’apercevoir que Vladimir Poutine et les nationalistes ukrainiens s’y livraient une guerre sans merci qui, toutes ces années, coûta la vie à quelque 13 000 personnes dans les deux camps.

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Aujourd’hui, avec l’attention soudaine et passionnelle que concentre l’Ukraine, les noms de Marioupol, Severodonetsk, Lyssytchank et désormais Sloviansk et Kramatorsk nous sont devenus familiers. Les combats y font rage avec une guerre massive et des duels d’artillerie. Seulement, si l’Ukraine fait l’objet d’une attention universelle, il est parfois difficile d’y voir clair dans l’évolution du conflit sur le terrain. Au brouillard de la guerre s’est ajouté un brouillard médiatique motivé par un soutien légitime à l’Ukraine qui célèbre en permanence l’héroïque nation tout en passant sous silence une partie de ses déconvenues. Depuis le 24 février, rares en effet sont les journalistes qui ont pu accéder aux lignes de front. Les atrocités commises par les Russes lorsqu’ils ont cédé du terrain soit par la négociation, soit parce que les Ukrainiens les y ont contraints, ont été largement documentées. Elles feront peut-être figure de preuves dans un procès futur pour crimes de guerre.

 

Les Russes progressent grâce à un nombre illimité de missiles et munitions

En attendant, les Russes progressent, notamment sur le front sud. Après une conquête-éclair au début du conflit de la ville de Kherson et une progression vers l’ouest jusqu’aux portes de Mykolaïv, ils ne se sont toujours pas attaqués à Odessa qui depuis des mois retient son souffle. Un reportage effectué en avril dernier m’avait permis de constater la fébrilité et la résilience des habitants de la mythique cité des bords de la Mer Noire, et de partager leurs jours et leurs nuits au rythme des alertes et des missiles qui passent dans le ciel et s’en vont frapper au loin des centres de commandement ukrainiens et autres dépôts d’essence ou stock d’armes quand ils n’atteignent pas carrément une zone résidentielle avec un but non déguisé de provoquer la terreur dans la population. Après une période de flottement incompréhensible au début du conflit, les Russes opèrent actuellement une conquête méthodique des centres urbains. L’usage massif d’une artillerie pas toujours très moderne leur donne l’avantage. Ainsi, on a beau évoquer souvent les armes ultra-performantes fournies par l’Occident aux résistants ukrainiens, celles-ci restent en trop petit nombre avec trop peu de soldats ukrainiens à savoir s’en servir pour espérer rivaliser avec la puissance de feu des Russes. Dans les dernières semaines, elles ont permis de cibler une douzaine de dépôts d’armes et de centres de commandement russes. Pourtant, c’est encore trop peu. En résumé, il vaut mieux des centaines de bons vieux orgues de Staline pilonnant avec des milliers de missiles Grad que des Javelin, des M777 ou des NLAW limités, fussent-ils très performants.

 

Vladimir Poutine va-t-il s’arrêter, s’il conquiert le Donbass ?

La force sourde du canon russe et sa capacité d’écrasement total domine. Une moyenne de 50 000 obus par jour contre le dixième à peine pour leurs adversaires. Après les déluges de feu, comme ils l’ont fait à Marioupol, les Russes conquièrent d’abord les zones résidentielles repoussant et assiégeant ensuite les restes des divisions ukrainiennes dans les zones industrielles. Ne l’oublions pas, les Ukrainiens ont placé leurs meilleures troupes au Donbass. Ils se battent comme des lions mais ville après ville, décrochent pour ne pas épuiser totalement leur armée. C’est un combat de retardement. Les habitants, enfin ceux qui ont choisi de rester ou n’ont pas eu le choix, sont mitigés quant à la progression des Russes. Nous sommes en zones russophones et une bonne partie d’entre eux considèrent la progression russe comme une libération. Après la chute de Lyssytchansk il y a 2 semaines, s’installe désormais le siège de Sloviansk. Cette agglomération est le verrou vers la dernière ville d’importance aux mains des Ukrainiens, Kramatorsk.

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Cette fois, pour les hommes du président Zelensky, plus question de reculer. Les voilà dos au mur. Les habitants fuient en masse la ville. Les Russes n’en sont qu’à une vingtaine de kilomètres à peine. Des deux côtés les troupes sont épuisées. Les Russes comblent leurs pertes par des effectifs provenant de la milice privée Wagner. Les Ukrainiens disent former un million d’hommes et envoient leur troupe en formation en Angleterre. L’offensive connaît une pause mais elle va repartir. Si Poutine écrase encore les Ukrainiens à Sloviansk et Kramatorsk, alors il aura le relief de la zone comme  avantage de taille. En effet, si le Donbass offrait des aspérités géographiques comme des cours d’eau et des friches industrielles en pagaille pour se cramponner et entraver leur progression, à l’ouest de Kramatorsk et jusqu’au fleuve Dniepr au centre du pays, il n’y a plus que des champs. Alors, on se demande si Vladimir Poutine va s’arrêter à la conquête des limites administratives du Donbass ou s’il sera tenté d’aller plus loin. Personne sauf l’intéressé n’a aujourd’hui la réponse à cette dernière question.

Régis Le Sommier 

 

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