Uber, Deliveroo : Qu’est-ce que « la présomption de salariat » voulue par Bruxelles ?

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La Commission européenne veut davantage réguler les Uber, Deliveroo et autres plateformes de livraison ou de chauffeurs. Bruxelles a dévoilé ses cartes hier, et ça va faire bouger les lignes. Vous connaissiez la présomption d’innocence. C’est au cœur de notre système juridique et judiciaire. Voici la présomption… de salariat.

Union européenne : 4 millions sur les 28 millions de travailleurs que comptent les plateformes pourraient devenir des salariés

Cette présomption de salariat va concerner notre système judiciaire, puisqu’il est aujourd’hui de plus en plus encombré par des procès, avec d’anciens chauffeurs ou livreurs qui veulent une requalification en un CDI, de tout ce travail qu’ils ont effectué, à conduire des clients, ou bien à pédaler pour livrer des burgers avant qu’il ne tiédissent. Il était temps de mettre un peu de clarté dans le système. Alors sont-ils vraiment des auto-entrepreneurs ou bien des salariés ? La réponse de la Commission européenne, est très simple : il y a cinq critères à regarder. Si deux de ces critères sont remplis, il y a présomption de salariat.

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Les critères, les voici : est-on obligé de porter un uniforme ou d’utiliser certains équipements (on pense à ces gros sacs à dos isothermes, en forme de cube, sur le dos des livreurs, avec le logo de la plateforme) ? Est-ce que la plateforme impose ses tarifs, ou bien le livreur peut-il fixer ses prix ? Est-ce que la plateforme lui interdit de travailler pour une autre entreprise ? Est-ce que la plateforme impose des horaires de travail, ou bien ne permet pas de refuser une mission ? Enfin est-ce que la plateforme supervise à distance la performance de ses livreurs ou chauffeurs ? Vous voyez que dans cette économie toute récente (Uber n’a que dix ans en France, et les services de livraison de courses en quinze minutes sont nés pendant la pandémie), on a vite fait de cocher plusieurs de ces critères. De l’aveu de Bruxelles, ce ne sont pas que les livreurs et chauffeurs qui sont concernés, d’autres services en ligne, comme la traduction, sont visés également. Avec ces critères, sur 28 millions de travailleurs de ces plateformes dans l’Union européenne, 4 millions pourraient ainsi devenir des salariés.

Nicolas Schmitt : « si le modèle fonctionne uniquement parce qu’on refuse à ces travailleurs des droits sociaux élémentaires, c’est un modèle fragile »

Les entreprises visées préparent la riposte. Cela va du simple argumentaire, expliquant par exemple que ça va freiner l’innovation, jusqu’aux menaces, de différents ordres. Menace de partir, tout simplement. C’est ce que Deliveroo a fait en quittant l’Espagne fin novembre, parce que des règles assez restrictives étaient mises en place dans le pays. Mais imagine-t-on vraiment que ces acteurs puissent se priver d’un marché comme l’Europe, quand on vise des clients urbains, qui ont assez de pouvoir d’achat pour se faire livrer un repas ou être emmené par un chauffeur, pour 15 ou 25 € à chaque fois ? L’Europe, l’Amérique du Nord, les pays développés d’Asie sont les marchés idéaux.

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Une menace sociale aussi est clairement exprimée : un chauffeur sur deux perdra son emploi, si on impose des embauches, déclare dans Les Echos un porte-parole de la plateforme Bolt. L’argument s’entend, puisqu’aujourd’hui l’immense majorité de ces travailleurs n’est qu’à temps partiel. Les plateformes menacent enfin d’augmenter les prix. Là ça toucherait donc le consommateur. Réponse du commissaire européen Nicolas Schmitt dans Le Parisien, ce matin : « il faudra peut-être un nouveau partage de l’argent entre ceux qui roulent avec leur vélo et ceux qui gèrent la plateforme ». Ça, ça veut dire, merci de baisser vos marges. Et pour lui, « si le modèle fonctionne uniquement parce qu’on refuse à ces travailleurs des droits sociaux élémentaires, c’est un modèle fragile et qui n’a peut-être pas de raison d’être ». Là il marque un point, pas forcément décisif. Car même si beaucoup de ces travailleurs veulent vraiment rester indépendants, il est important pour eux et pour la société, de s’assurer qu’ils aient aujourd’hui une protection sociale, et demain, une retraite convenable.

François Geffrier

 

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