Un secteur de notre quotidien mais qui se trouve pourtant fragilisé, il s’agit du commerce. Voilà que débutent ce matin des Assises du commerce. Est-ce une grande réunion de plus, pleine de bonnes intentions ? De quoi va-t-on parler précisément ?
Amazon investit 9% de son chiffre d’affaires pour se moderniser en continu
Vous vous dites peut-être, « encore des Assises de quelque chose », comme il y a des Etats généraux de tout et n’importe quoi mais aussi des Grenelle, des Beauvau ou des Ségur. En réalité on parle d’un enjeu immense. Le commerce français a le vertige. Il a tout simplement peur pour son avenir, face à des quantités de défis qui lui sont posés. Et je le dis tout de suite, le commerce, ce n’est pas que la grande distribution. D’ailleurs, parmi les thèmes sur la table il y a les centres-villes. Ce qu’on appelle la « vacance commerciale », un mot savant pour décrire ces vitrines vides, barrées d’un panneau « à vendre » ou « à louer ». On est souvent à 10% de locaux vacants dans les villes moyennes, c’est là que ça se dégrade le plus et le plus vite. L’autre enjeu est de défendre l’emploi. On pensait que la grande distribution était une activité non délocalisable. C’est faux, on le voit bien avec des hypermarchés qui ferment et le développement de la livraison à toute vitesse, dont beaucoup de produits viennent de chez nos voisins. La question de l’emploi est brûlante aussi avec l’avènement des magasins sans caissiers ni caissières et bientôt sans caisse.
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On entendait, la semaine dernière sur Radio Classique, un reportage d’Emilie Valès sur un magasin Carrefour : 50m², 60 caméras au plafond, pas de caisse, ce sont les capteurs de poids sur les rayonnages et les objectifs des caméras qui font office de scanners de code-barre et tout est automatique. Des magasins à terme, sans magasinier non plus, avec le perfectionnement des robots. Ce sont donc plusieurs centaines de milliers d’emplois qui sont menacés. On peut parler aussi de l’enjeu de financer toutes les transitions nécessaires. Notamment vers ce qu’on appelle le modèle « omnicanal », encore un mot savant pour dire que si vous ne vendez que dans votre boutique physique, vous êtes morts. Il faut plusieurs canaux de distribution, que vous soyez Carrefour ou le cordonnier d’à côté. Amazon investit 9% de son chiffre d’affaires pour se moderniser en continu, en partant d’un modèle déjà très technologique. La grande distribution française, elle, n’investit que 2%. Il faut donc du financement mais le secteur est asphyxié par l’ultra concurrence entre Leclerc, Carrefour, Intermarché, Système U, Auchan, Lidl, Aldi, Cora…
Carrefour n’a pas pu se marier avec Auchan
Et puis il y a les impôts fonciers que payent les distributeurs français avec leurs milliers de magasins, et que ne paye pas Amazon, ou pas à la même échelle, qui n’a que quelques entrepôts sur le territoire. En fait, ces Assises du commerce, c’est le conseil de guerre face à un redoutable adversaire : Amazon. Il y a quelques années, on disait qu’Amazon était une immense librairie, rien de plus. On se cachait les yeux. Amazon aujourd’hui, c’est tout le catalogue de Monoprix (je parle bien de produits alimentaires, y compris le frais et le surgelé) mais ce sont aussi des chaussures, des bijoux, des pneus, des piscines. Amazon a beau jeu de dire qu’il crée de l’emploi en France, c’est factuellement vrai, avec 22 000 salariés aujourd’hui, le débat entre les économistes n’est pas tranché pour savoir combien sont détruits dans le même temps. Ces Assises du commerce c’est donc l’emploi, le pouvoir d’achat, l’innovation, l’aménagement du territoire, l’écologie, la fiscalité… On attend dans trois semaines des pistes concrètes.
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Parmi les solutions, une paraît toute simple : la consolidation. C’est-à-dire que les groupes se rachètent entre eux pour peser plus lourd face à Amazon. Aujourd’hui ils sont trop nombreux et se livrent une guerre des prix. Le consommateur s’en réjouit. C’est donc une idée, on verra si Bruno Le Maire la met sur la table à la fin de ces assises. Pas simple à faire concrètement, on l’a vu encore récemment avec Carrefour qui n’a pas pu se marier avec Auchan, ni avec le groupe canadien Couche Tard. Ces Assises du commerce sont comme un match de football. Je dirais plus exactement qu’on est à la mi-temps, dans le vestiaire, c’est la causerie pour remobiliser tout le monde, avec des joueurs français concurrents mais qui doivent jouer collectif sur bien des aspects pour renverser ce scénario dramatique trop facilement écrit par les bookmakers.
François Geffrier