Histoire de l’Art : Qu’est-ce qui se cache derrière les partitions peintes sur les tableaux ?

Lafit86 / Wikimedia Commons

Si la musique a toujours été un sujet d’inspiration pour de nombreux peintres (avec par exemple la représentation d’instruments ou la réalisation de portraits de musiciens), la représentation de la partition musicale elle, est bien plus rare et se retrouve assez peu fréquemment dans les tableaux. Souvent qualifiée d’allégorie des vanités, la partition nous révèle beaucoup d’autres secrets parfois bien cachés dans les œuvres picturales.

Le Caravage : un peintre baroque qui rend hommage à la musique sacrée

Le Repos pendant la fuite en Egypte, tableau du Caravage est une huile sur toile datée de 1596-1597. Appartenant au courant baroque -qui privilégie les représentations religieuses  au détriment de tout autres sujets– Le Caravage dépeint la scène de la fuite de Joseph, Marie et Jésus après le massacre des innocents (l’assassinat de tous les garçons de moins de deux ans, nés dans la région de Bethléem par le roi Hérode). Il illustre une scène biblique de l’Ancien Testament où la musique tient une place centrale dans la composition du tableau. Au milieu de l’œuvre se tient un ange jouant du violon, mis en lumière par la technique du clair-obscur, dont Le Caravage est l’un des maîtres incontestés. Face à lui, Joseph tient une partition lisible. Il s’agit d’un motet, une composition musicale née au XIIIè siècle et destinée à la voix avec ou sans accompagnement instrumental. Les paroles de ce chant n’ont pas été retranscrites, mais la portée musicale peinte par Le Caravage a permis d’identifier l’œuvre musicale.

Détail partition, Le Caravage, Le Repos pendant la fuite en Egypte, 1596-1597, Galerie Doria-Pamphilj, Guil / Wikimedia Commons

Il s’agit du « Quam pulchra es » de Noël Bauldewijn (1480-1530), un compositeur flamand de la Renaissance, publié en 1526 à Rome et composé en l’honneur de la Vierge Marie, assimilée à l’épouse du Cantique des cantiques. Ce livre poétique constitué de chants d’amour dans la Bible était une véritable source d’inspiration pour les compositeurs de l’époque. En regardant d’encore plus près cette partition on y distingue même des ornementations musicales comme l’illustration d’un point d’orgue qui vient suspendre la mesure. Le Caravage fait donc preuve d’une extrême adresse dans sa technique et révèle ainsi ses connaissances en musique, qui tient d’ailleurs une place importante dans plusieurs de ses toiles (Comme le très connu Joueur de luth, datant de 1596 ). Cet hymne musical à la Vierge Marie est tout à fait cohérent avec le choix du sujet du peintre et vient de surcroît renforcer le caractère baroque du tableau. 

 

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Le Jardin des délices de Jérôme Bosch ou quand la musique devient un supplice

Jérôme Bosch, Le Jardin des délices, 1494-1505, Musée du Prado, Wikimedia Commons

Le Jardin des délices est une peinture à l’huile sur bois de Jérôme Bosch, peintre néerlandais s’inscrivant dans le mouvement des primitifs flamands. Il s’agit de son œuvre la plus connue, réalisée entre 1494 et 1505  et qui se présente sous forme de triptyque illustrant la création du monde. Le panneau de droite représente l’enfer et tous les supplices qui s’y inscrivent, et la musique y tient une place prépondérante ! La partie inférieure de ce panneau est en effet exclusivement l’illustration d’abysses musicales : des musiciens sont représentés dans des scènes de crucifixions sur des instruments de musique (regardez bien cette harpe géante) .

Détail de la harpe géante, Jérôme Bosch, Crijam / Wikimedia Commons

On peut également y voir des personnages prisonniers d’un tambour ou d’une trompette. Mais le génie du peintre réside principalement sur le détail musical de sa composition picturale. On peut apercevoir le supplice d’un pêcheur, allongé sur le ventre et écrasé par une cithare, sur lequel on a marqué à même la peau de son postérieur une bien étrange partition. Si les historiens de l’art n’ont toujours pas fini de percer les mystères du tableau dans son intégralité, tant il regorge de secrets, une étudiante en musicologie de l’université chrétienne d’Oklahoma a pu retranscrire la partition du condamné, cinq siècles après sa création. Amelia Hamrick explique que : « pour le passage à la notation moderne, j’ai adopté la convention ut deuxième ligne, selon l’usage du plain-chant à cette époque c’est à dire vers 1500 ».

Détail de la partition

 

Un pari surprenant lancé par l’étudiante mais qui nous permet d’écouter le message musical caché de Bosch. Le plus curieux, c’est que cette musique utilise l’intervalle du triton également appelé quarte augmentée. Le principe de ce fameux triton est que l’intervalle qui le compose est de 3 tons. Sa sonorité exprime une très forte tension chez l’auditeur et donne ainsi à la musique une expression particulièrement angoissante. A tel point que ce triton fût surnommé par l’Eglise : « Diabolus in Musica  » soit le diable dans la musique. L’utilisation de ce « triton démoniaque » dans l’écriture musicale était donc peu recommandée par le clergé. Grâce à cette retranscription d’Amelia Hamrick, vous pouvez donc mieux vous imprégner de cet enfer que Jérôme Bosch dépeint et comprendre le clin d’œil de la partition de ce damné, qui est en somme une allégorie du mal illustrant à la perfection, le sujet central de cette œuvre. 

 

 

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Le Concert dans l’œuf : la musique au service de l’histoire

Le Concert dans l’oeuf, Inconnu, seconde moitié du XVIe siècle, Musée des Beaux-arts de Lille, Wikimedia Commons

Le Concert dans l’œuf est une œuvre particulièrement surprenante, attribuée un temps par erreur à Jérôme Bosch. Le musée des Beaux-arts de Lille en a d’ailleurs fait l’acquisition en 1890 en pensant ajouter à sa collection une œuvre originale du peintre primitif flamand. On peut remarquer dans cette composition de nombreux instruments de musiques : une flûte, un luth ou encore une harpe, tous joués par des créatures étranges. Au centre de la toile, des personnages sont en train de chanter à pleine voix une partition dans un œuf craquelé de toutes parts. Cette partition est la clef de voûte du tableau. Elle fut attentivement analysée par l’historien de l’art Max Jakob Friedländer.

Détail de la partition, Le Concert dans l’oeuf, Wikimedia Commons

Elle est peinte si précisément, qu’une fois passée à la loupe, la musique a pu être identifiée. Il s’agit de l’air « Toutes les nuits » de Thomas Créquillon, un compositeur franco-flamand de la Renaissance, publiée en 1549, 33 ans après la mort de Jérôme Bosch. Max Jakob Friedländer a donc pu confirmer que l’œuvre n’était qu’une copie de celle de Bosch et que l’auteur de cette peinture – qui s’inscrit dans le mouvement de la Renaissance flamande – se serait en fait inspiré du tableau La Nef des fous de son prédécesseur. Le compositeur Thomas Créquillon, dont on sait peu de choses, était le maître de chapelle de Charles Quint. Il a composé pas moins de 116 motets, 192 chansons et 16 messes. Il revendiquait également l’écriture polyphonique, en vigueur à cette époque dans la musique savante occidentale, qui consistait à faire chanter plusieurs voix en même temps, sur des mélodies différentes donnant par conséquent, un aspect cacophonique. On comprend pourquoi les personnages que l’on voit chanter s’en donnent à tue-tête.

Ondine Guillaume

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