Contrairement au Royal Ballet en Grande Bretagne ou à l’American Ballet Theatre aux Etats-Unis, la compagnie de l’Opéra embauche rarement hors de France: sur les 154 artistes, seuls 25 viennent de l’étranger. Mais lors de son bref mandat (2015-2016), l’ex-directeur de la danse Benjamin Millepied, qui a fait sa carrière aux États-Unis, a appelé à plus de diversité dans la compagnie et mis en avant des danseurs étrangers. Portraits de 4 de ces danseurs de l’Opéra de Paris venus du bout du monde et qu’a rencontré l’AFP.
Bianca Scudamore, future étoile australe

Elle a été qualifiée de « Baby Ballerina » en raison de sa précocité. A 19 ans, la prodige est à deux grades du titre suprême. Dès l’âge de trois ans Bianca Scudamore danse dans sa Brisbane natale avant de se lancer dans le classique selon la méthode anglaise de la Royal Academy of Dance. Mais son but, c’est Paris. « Je regardais beaucoup de vidéos du Ballet de l’Opéra sur YouTube« , raconte la danseuse blonde au visage enfantin et aux yeux rieurs. A 14 ans, elle passe une audition pour entrer à l’Ecole de l’Opéra, malgré les doutes de sa professeure. « Elle m’a dit : les étrangers peuvent difficilement intégrer cette école, tu n’auras aucune chance« . Pari gagné pourtant. Mais elle doit s’adapter à l’école française, la plus ancienne des traditions. « Les mouvements de pieds sont beaucoup plus rapides et difficiles, on doit faire attention aux épaulements« . L’exigence des professeurs, l’éloignement de sa famille, rien ne la fait craquer. Elle confie au début avoir « pleuré presque chaque nuit. Mais le ballet m’a gardée motivée« . Danseuse « millénial », elle a 16 000 followers sur Instagram et s’inspire toujours des plateformes vidéo. « Mais je ne copie personne car la danse, ça vient de l’intérieur« .
Sae Eun Park, l’élégance coréenne

Pour cette 1ère danseuse coréenne de 29 ans, l’arrivée à l’Opéra de Paris a été un rien brutale. « Avec le Korean National Ballet, j’étais soliste et je dansais les principaux rôles« , affirme la jeune femme longiligne, à la voix timide. « Entrée à l’Opéra, j’étais en CDD et j’étais tout le temps dans les coulisses mais j’ai beaucoup appris« . Si différents styles sont associés à des pays occidentaux ou la Russie, il n’y a pas d’école dite asiatique et Sae Eun Park a été formée par des danseuses russes selon le style Vaganova dans son Séoul natal. Prix de Lausanne à 17 ans et médaille d’or à Varna, cette fille d’une pianiste et d’un employé chez Samsung découvre le style français lors d’un cours donné par un ex-danseur coréen de l’Opéra. « Ça a été une révélation. Vaganova, c’est plus le haut du corps. Avec le style français, qui repose plus sur le travail des pieds, la technique m’est venue plus naturellement« . Mais elle se souvient d’un conseil d’une ancienne professeure russe: « Elle m’a dit : N’oublie pas que malgré les différences de style, l’important est ce qu’on exprime de l’intérieur« .
Chun-Wing Lam, 1er danseur chinois de l’Opéra de Paris

À 22 ans, le natif de Hong Kong a fait une entrée remarquée au Palais Garnier: premier Chinois à intégrer la compagnie en 2015, il a emballé à l’époque la presse de son pays natal. « Mon histoire était surprenante car j’étais un garçon qui faisait du classique« , explique l’artiste qui est quadrille, 1er grade de la hiérarchie. Encouragé par sa maman, il est à 7 ans un peu comme un Billy Elliot chinois. « Au studio, il n’y avait que des petites filles en tutu, j’étais choqué« . Sa professeure, pour qui « la meilleure école de ballet est celle de l’Opéra« , envoie une vidéo de son élève doué à Elisabeth Platel, directrice de l’école, ancienne danseuse étoile et gardienne du style français. « On me corrigeait beaucoup la préparation des pirouettes: dans le style français, les bras sont arrondis, à Hong Kong, les bras étaient allongés. Ça m’a pris du temps pour changer cette habitude. Le port de tête est également plus précis. » dit le danseur qui a été embauché par Benjamin Millepied. « L’intégration au sein de la compagnie a été difficile.. mais ça valait tous les sacrifices« . À noter que, parallèlement à sa formation de danseur, Chun-Wing Lam a réussi à être diplômé de Grenoble École de Management.
Hannah O’Neill, une plume au pays des All Blacks

Hannah O’Neill, première danseuse à 26 ans, est une obstinée. Son coup de cœur date du jour où elle a vu une vidéo du « Cendrillon » de Noureev avec le danseur légendaire, la star française Sylvie Guillem et Charles Jude. « A partir de ce moment-là, pour moi, l’Opéra de Paris était le symbole du ballet« . Formée à Tokyo et surtout à Auckland (Nouvelle-Zélande) où elle a grandi, cette fille d’un ex-joueur de rugby néozélandais et d’une mère japonaise passionnée de ballet a un avant-goût du style français revisité par Rudolf Noureev: sa professeure Marilyn Rowe a travaillé avec l’ex-directeur de la danse à l’Opéra. A 14 ans, elle rate le concours externe pour intégrer l’École et rejoint l’Australian Ballet School, enchaînant au passage les prix (Lausanne, le Youth American Grand Prix). Mais elle n’abandonne pas son rêve et finit par être acceptée à l’Opéra comme surnuméraire à 18 ans. Sans parler un mot de français. « Je ne comprenais rien mais comme j’excelle dans l’imitation, ça m’a bien aidée. Tout est plus sophistiqué à l’école française. Tout est dosé, rien de plus rien de moins. En Australie, la danse est plus explosive« , dit-elle. Elle se rappelle comment un professeur utilisait des images d’anciennes statues pour expliquer la position des têtes. Hannah O’Neill, elle aussi, a été repérée par Benjamin Millepied qui lui confia un jour le rôle principal dans Le Lac des Cygnes de Tchaïkovski, généralement réservé aux étoiles.
Des nouveaux visages venus d’ailleurs qui ont toutefois réussi à gravir ces dernières années les échelons très hiérarchiques de la compagnie, parfois sans même passer par l’école qui lui est rattachée comme l’Argentine Ludmila Pagliero, devenue la 1ère danseuse étoile non-européenne de l’Opéra de Paris en 2012.
Philippe Gault (avec AFP)