Une exposition musicale sur une icône du muet ? A première vue, l’idée peut sembler saugrenue. Et pourtant, aborder Charlie Chaplin par le biais de son univers sonore se révèle être un coup de génie.
Charlie Chaplin : la musique dans la peau
Ses films ont beau être muets, tout dans l’œuvre de Chaplin fait bruit. Tout y est musical. Sa démarche chaloupée de vagabond marginal est une chorégraphie à elle seule. Ses chutes, ses gestes, ses pantomimes réglés de façon millimétrés sont tous affaires de rythme. Chaplin est un corps sonore. Nijinsky d’ailleurs ne s’y trompa pas : invité par Chaplin en 1916 sur le plateau de tournage, il lui lança en partant : « Vous n’êtes pas un acteur… Vous êtes un danseur ».
La musique fut l’une des grandes passions de la vie de Charlie Chaplin. Un peu grâce à ses parents, tous deux chanteurs de music-hall, qui le traînaient partout quand il était petit, faute de moyens pour le faire garder. Il apprit à l’oreille le violon et le piano, et avec son premier cachet, s’acheta à 16 ans un violon, dont il fit monter les cordes à l’envers parce qu’il était gaucher. Il nourrissait d’ailleurs le rêve de devenir musicien professionnel avant de se tourner vers le cinéma.
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Du cinéma muet au cinéma sonore
Si Chaplin ne savait pas lire une note, il accorda dès qu’il le put une attention primordiale à la musique dans ses films. Dès qu’il le put car cela n’allait pas de soi. Comme l’explique l’exposition de la Philharmonie, qui est aussi une formidable leçon sur l’histoire du son dans le 7ème art, au début du cinéma muet la musique n’était pas intégrée au film de manière indissociable. Les séances étaient accompagnées par des bruiteurs et par des musiciens présents dans la salle, mais chaque cinéma était libre de l’accompagnement musical des films projetés.
Mais en 1927, le cinéma devint sonore. Une révolution à double tranchant pour Chaplin. Il se méfie des dialogues, « aussi nécessaire(s) aux films que les paroles aux Symphonies de Beethoven » et refusera longtemps de faire parler son personnage. Il pressent que Charlot en ayant une voix, perdra son caractère poétique et universel. En revanche, il tire immédiatement parti de la synchronisation des images et de la musique que la technique rend désormais possible, allant jusqu’à recréer la bande musicale de films déjà existants.
Chaplin compositeur
Charlie Chaplin puise d’abord largement dans la musique classique et populaire : Wagner, Tchaïkovski, Rimsky-Korsakov… cherchant toujours une musique élégante et raffinée par contraste avec le personnage de Charlot. Mais très vite Chaplin qui avait compris que pour faire une œuvre totale il fallait tout maîtriser, de l’écriture jusqu’à la production, se met à composer lui-même. Ne sachant pas lire une note, il tâtonne au piano jusqu’à trouver la mélodie qui lui convient, puis fait appel à des arrangeurs.
Plusieurs mélodies originales composées pour ses films sont devenues des succès populaires, notamment « Smile », la chanson des Temps modernes reprise à l’infini par des grandes voix de Nat King Cole à Michael Jackson. D’ailleurs, aussi surprenant que cela puisse paraître, Charlie Chaplin ne reçut qu’un seul oscar dans sa vie : celui de la meilleure musique de film à l’occasion de la réédition des Feux de la rampe.
A voir également : L’exposition du Musée d’arts de Nantes « Charlie Chaplin dans l’œil des avant-gardes » (du 18 octobre 2019 au 3 février 2020), présentée à l’occasion des 130 ans de la naissance du cinéaste. A travers plus de 200 œuvres, l’exposition montre l’influence que Chaplin a pu exercer sur les artistes de son temps, de Marc Chagall à Fernand Léger, en passant par Man Ray, John Heartfield ou Claude Cahun, tous fascinés par son talent.
A lire : Charlie Chaplin, L’homme-orchestre, aux éditions de la Martinière
Kate Guyonvarch, Mathilde Thibault-Starzyk, Jean-François Cornu
Elodie Fondacci