Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak étaient programmés pour chanter Tosca au Liceu, l’opéra de Barcelone, en janvier 2023. Mais le ténor français et son épouse polonaise ont décidé d’y renoncer, jugeant la version du metteur en scène espagnol Rafael R. Villalobos trop transgressive et « de mauvais goût ». Un retrait qui suscite la polémique alors que le ténor français doit jouer dans une comédie musicale à Paris dans la foulée.
Dans sa Tosca, Rafael R. Villalobos multiplie les références à Pasolini
Cette première de Tosca de Giacomo Puccini dans la version controversée de Rafael R.Villalobos devait être l’événement du début d’année 2023 au Gran Teatre del Liceu. Du 4 au 21 janvier à Barcelone, la soprano Aleksandra Kurzak aurait dû y endosser le rôle de Tosca et son mari, Roberto Alagna, celui de son amant Mario Cavaradossi dans cette co-production du Théâtre Royal de la Monnaie, du Gran Teatre del Liceu, du Teatro de la Maestranza de Séville et de l’Opéra Orchestre National Montpellier.
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Il est vrai que cette production de Tosca, créée en juin 2021 au Théâtre Royal de la Monnaie et jouée les 11, 13 et 15 mai à l’Opéra de Montpellier, a de quoi surprendre et n’usurpe pas sa qualification transgressive. Rafael R. Villalobos a en effet choisi d’évoquer, en marge de la trame historique, un sujet d’actualité brûlant : la crainte de Dieu utilisée comme outil de domination politique, pression morale et religieuse que le Vatican a exercée sur les personnages de l’opéra de Puccini. Pour appuyer son argumentaire, le metteur en scène espagnol multiplie les références au cinéaste et poète italien Pier Paolo Pasolini, et plus particulièrement à son dernier film, Salò ou les 120 Journées de Sodome, où fascisme et sadisme sont assimilés.
Pour le directeur du Théâtre de la Monnaie, Roberto Alagna privilégie sa participation à Al Capone
Dans une interview accordée au site italien Connessiallopera, Roberto Alagna explique qu’initialement, avec son épouse, ils avaient donné leur accord pour une ancienne production de Tosca avant de découvrir, au moment de la présentation de la saison, que ce serait celle de Rafael R.Villalobos, qu’ils ont visionnée en vidéo avant de décider de renoncer à y participer. « Avec Aleksandra on ne voulait pas être les otages d’un projet où l’on a affaire à de la violence, du sadomasochisme, de la pédophilie, de la nudité. Des situations totalement incohérentes par rapport à la Tosca de Puccini » a indiqué le ténor français, précisant : « cette tentative de reproduire le film de Pasolini dans le chef-d’œuvre de Puccini me semble vraiment de mauvais goût ». Dans la presse polonaise Alexandra Kurzak a été encore plus explicite. « C‘est dégoûtant et grotesque. J’ai cru que j’allais mourir de rire quand j’ai vu Scarpia porter un collier de sex-shop autour du cou », a déclaré la soprano polonaise.
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Des arguments « moraux » dont doute le directeur général du Théâtre de la Monnaie, un des co-produteurs de cette Tosca. Sur sa page Facebook, Peter de Caluwe, écrit: « le fait qu’il (Roberto Alagna) soit la vedette d’Al Capone à Paris (du 28 janvier au 13 mai 2023 aux Folies Bergère, ndlr) jette certainement une lumière plus nuancée sur les arguments que le ténor a utilisés pour sortir du projet Puccini à Barcelone. Comment a-t-il pu combiner une nouvelle production à Barcelone qui se chevauche totalement avec les dernières répétitions de Paris et les dates des premières ? » et d’ajouter « la vie d’un gangster et maffia capo semble lui poser moins de problèmes moraux (…) Au moins, Cavaradossi peut être considéré comme un artiste d’une certaine noblesse ! ». Jean-Félix Lalanne, le producteur de la comédie musicale incriminée, a réagi dans un communiqué, rappelant qu’il travaille à ce projet depuis avril 2020 et qu’il a toujours tenu compte des engagements de Roberto Alagna. Pour lui, la « soi-disante » annulation du chanteur au profit d’Al Capone est « une affirmation honteuse, à la limite de la diffamation ». Côté Liceu, les responsables de l’institution catalane se sont contentés d’indiquer que « Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak se sont sentis incapables d’incarner leur rôle respectif dans cette mise en scène et ont finalement décidé de se retirer du projet » et de préciser qu’ils seront remplacés, respectivement, par Michael Fabiano et Maria Agresta.
Philippe Gault