Ludovic Tézier :« Il est faux de dire que l’art lyrique coûte plus qu’il ne rapporte à l’État »

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Au printemps 2020, lors du premier confinement, Ludovic Tézier fut l’un des premiers grands noms de la musique en France à faire entendre sa voix pour alerter sur la situation du monde culturel et de l’art lyrique en particulier. Un an plus tard, le baryton marseillais fait le point alors que la crise sanitaire perdure. L’AFP l’a rencontré juste avant le début du mouvement d’occupation des théâtres.

Ludovic Tézier défend le régime des intermittents du spectacle :  « Un système que le monde entier nous envie »

Lucide, Ludovic Tézier se dit privilégié car il vient de chanter en streaming direct de la Scala de Milan, s’est produit en début d’année à l’Opéra de Paris pour une captation d’Aïda, à l’Opéra de Monte-Carlo devant un public et vient de sortir son premier album solo consacré à Giuseppe Verdi, dont il est un des plus grands interprètes. Mais au printemps dernier, le Marseillais de 53 ans fut l’un des premiers à tirer la sonnette d’alarme, appelant dans une tribune dans Le Monde Emmanuel Macron à « sauver la culture en France ». C’est lui aussi qui, avec Jonas Kaufmann, le ténor allemand superstar, lance une pétition à l’Union européenne pour demander le soutien de l’art lyrique et du spectacle vivant.

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Un an plus tard, l’Etat français a versé des sommes conséquentes mais les salles, fermées depuis plus de quatre mois, désespèrent de pouvoir rouvrir, entraînant depuis plus d’une semaine un mouvement d’occupation de théâtres à travers la France. Ludovic Tézier, lui, défend le régime des intermittents du spectacle, une spécificité française. Emmanuel Macron leur avait accordé une « année blanche » en 2020 mais face au manque de cachets, ils réclament la prolongation de leurs droits. « Dans les pays anglo-saxons, les artistes précaires n’ont pas de système de soutien; en Allemagne, on m’a demandé récemment comment fonctionnait l’intermittence en France; c’est un système que le monde entier nous envie », affirme Ludovic Tézier.

Une étude du syndicat Les Forces Musicales montre que le lyrique en France représentait en 2017 414 millions d’euros en poids économique

S’il se félicite des montants obtenus par la ministre de la Culture Roselyne Bachelot, Ludovic Tézier affirme que le milieu doit également « agir artistiquement. Il faut préparer la réouverture comme un navire de guerre n’éteint jamais ses chaudières ». Pour celui qui est considéré comme l’un des meilleurs barytons au monde, l’art lyrique « était déjà fragilisé avant la crise par les a priori : que c’est pour les vieux, c’est poussiéreux, ce sont de grosses voix qui sont dans le gargarisme permanent, avec des personnages qui mettent trois heures à mourir sur scène ». Mais pour lui, « le poncif ultime et absolument faux est que l’art lyrique coûte plus qu’il ne rapporte à l’État ». Une étude publiée en 2017 par le syndicat Les Forces Musicales montrait que le lyrique en France représentait 414 millions d’euros en poids économique, avec pour 1 euro de subvention locale, 1,33 euro injecté dans le tissu économique. « L’écosystème lyrique, c’est aussi le chauffeur de taxi qui emmène monsieur et madame à l’opéra ou la pizzeria qui accueille les jeunes qui ont vu le même spectacle », assure le chanteur.

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À propos de la polémique qui a éclaté récemment à Lyon, où la mairie s’apprête à diminuer de 500 000 euros la subvention annuelle accordée à l’Opéra national de Lyon (son directeur a dénoncé une « idéologie anti-opéra »), Ludovic Tézier tient à rappeler que « L’opéra requiert un nombre de talents d’artistes et d’artisans incomparable, des chanteurs aux charpentiers. C’est un travail d’excellence qu’on retrouve dans toute la France, on n’est pas des parasites ».

Ludovic Tézier favorable au renouvellement des générations d’amateurs d’opéra

Concernant les captations de concerts et de récitals qui se multiplient depuis le début de la crise sanitaire, le baryton déclare avec ironie: « Je ne suis pas fan du pain à la moutarde, mais le jour où j’ai faim, j’en mange. En revanche, il ne faut pas parler de +live+. Je revendique l’appellation d’origine contrôlée pour ce mot.. Le +vivant+, c’est dans les salles ! ».

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Le baryton est né dans une famille modeste de mélomanes: son père lui faisait écouter les opéras de Verdi à la radio et lui a payé son premier billet pour un opéra de Richard Wagner à l’âge de 13 ans. « C’est une affaire de famille… comme pour le foot à Marseille où vous êtes fan de l’OM car votre père ou votre mère vous a emmené un jour au stade Vélodrome. Il faudrait également sponsoriser des tarifs familles à l’opéra pour renouveler les générations », conclut-il.

Philippe Gault (avec AFP)

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