Ni simpliste ni anecdotique, le style d’Erik Satie durant sa période ésotérique – entre 1891 et 1892, c’est le compositeur officiel de l’Ordre de la Rose-Croix fondé par Joseph Péladan -, se veut d’une raréfaction sonore qui tend vers l’abstraction. Admirateur de Wagner, il cherche à s’en éloigner (mais leurs moyens ne sont pas comparables), tout autant que de l’effusion des Romantiques, grâce à une musique faussement statique et sans pulsation régulière, suite de séquences aux coloris changeants, jamais les mêmes, qui permutent, se figent et forment au final un collage préfigurant l’esthétique d’un Marcel Duchamp.On connaît les talents multiples du pianiste Alexei Lubimov, qui s’intéresse autant à l’époque baroque qu’aux répertoires romantiques et contemporains, de Mozart à Chopin, de Ives à Arvo Pärt, sans parler de fortes attirances pour Debussy, Cage ou Ustvolskaya… L’idée de recréer sur disque (et peut-être sur scène, prochainement… ?) la musique du Fils des Étoiles, spectacle mystico-ampoulé du " Sâr " Péladan – refusé par la Comédie-Française et le Théâtre de l’Odéon, et finalement créé à la Galerie Durand-Ruel, en mars 1892 -, ne pouvait que venir de lui ! De cette " wagnérie kaldéenne " (sous-titre de ce pastiche de Parsifal), où se profilent de futures Gnossiennes et autres Morceaux en forme de poire, subsistent trois partitions distinctes ; la première, pour ensemble de flûtes et de harpes, créée mais jamais publiée, la deuxième, fréquemment enregistrée – les trois Préludes isolés -, et la troisième, intégrale, éditée seulement en 1968, beaucoup plus rare et d’une durée totale d’une heure. C’est cette version qui nous apparaît désormais comme l’interprétation la plus judicieuse. Par la distance et la grandeur adoptées, autant que par un sens renouvelé du contraste (l’accord répété du Prélude du 1er acte) Lubimov obtient cette tension et cet élan indispensables (montée chromatique de l’Acte II L’Initiation et finale de l’Acte III L’Incantation) qui confèrent à la partition drame, humour et sensualité.En regard, la version rébarbative " escargot " (supérieure de 20 minutes !) enregistrée par l’Allemand Steffen Schleiermacher (MDG, 2001) semble bien morne…
ÉVÉNEMENT COSMIQUE
Radio Classique
Alexei Lubimov grave l’intégralité de l’oeuvre d’avant-garde d’Erik Satie « Le Fils des Étoiles », musique fascinante aux limites de l’univers tonal.