À partir de ce lundi, l’Allemagne impose de nouvelles restrictions face à la propagation de la pandémie de Covid 19, qualifiées de reconfinement « allégé » dans les média. Ces mesures prévoient la fermeture pendant un mois au moins de tous une série d’établissements ouverts au public. Ce sera le cas du secteur de la culture et donc de la musique qui ne cache pas son désarroi.
L’Opéra d’Etat de Bavière a accueilli 50 spectateurs pour ses dernières représentations avant le reconfinement
« Une gifle » : la représentation vient de se terminer samedi soir dans le très renommé Opéra d’Etat de Bavière (Bayerische Staatsoper) et, juste avant que le rideau tombe, le baryton Michael Nagy, les larmes aux yeux, a du mal à cacher son émotion face au public. L’Opéra bavarois est concerné au 1er chef, comme au printemps. Les chanteurs et l’orchestre viennent d’achever une première de l’opéra « Die Vögel » (Les Oiseaux) du compositeur allemand Walter Braunfels. L’avant-dernier spectacle avant la fermeture des portes de l’enceinte lyrique bavaroise, qui peut accueillir en temps normal 2100 personnes.
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Pour cette « première » aux allures de « dernière », une cinquantaine de spectateurs a fait le déplacement pour les encourager. À la fermeture du rideau, ils ont beau applaudir à tout rompre, crier et battre des pieds depuis les fauteuils rouges du balcon, rien n’y fait : le vide s’entend dans l’immense salle parée de dorures et de lustres élégants. « Être assis ici dans une salle si vide, c’est totalement déprimant et douloureux », soupire Jan Brachmann, nœud papillon autour du cou et masque chirurgical sur le visage. Ce passionné d’opéra a tout de même voulu assister à cette première, par respect « pour les artistes qui l’ont préparée ».
L’Opéra d’Etat de Bavière n’a déploré aucune contamination à la Covid 19 depuis plus d’un mois
Pour l’Opéra munichois, la nouvelle fermeture sonne comme un désaveu. Son directeur Nikolaus Bachler dit ne pas comprendre pourquoi les « transports en commun » ou les « commerces » peuvent rester ouverts en novembre en Allemagne alors que sa scène doit fermer. « Nous avons un public discipliné, il est possible de maîtriser les risques. Ce n’est pas une décision adéquate », critique-t-il. Nikolaus Bachler est d’autant plus découragé qu’il avait espoir que sa salle, l’une des plus grandes d’Allemagne, passe entre les gouttes du confinement grâce à une expérimentation réussie menée en septembre.
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Le Bayerische Staatsoper a eu le droit d’accueillir 500 spectateurs au lieu des 200 autorisés normalement pendant le déconfinement de l’été en Bavière. Règles d’hygiènes strictes, port du masque obligatoire, distanciation entre les spectateurs : en plus d’un mois, aucune contamination à la Covid 19 n’a été déplorée. L’expérience a dû pourtant être interrompue par les nouvelles restrictions décidées ensuite. Et désormais c’est la fermeture complète au public.
Due to the new governmental decisions we have to cancel our regular performance schedule for the rest of the month as of November 2nd. But we're not gone! We're already working on an alternative programme for the coming weeks. Thank you for your support.? https://t.co/XzB6IlIzjK pic.twitter.com/XP0qknil61
— BayerischeStaatsoper (@bay_staatsoper) October 29, 2020
Les artistes allemands estiment qu’ils ont « moins de valeur que les footballeurs »
Cette perspective effraie tout le monde de la culture en Allemagne. « Ces derniers mois, nous avons l’impression d’avoir moins de valeur que les voitures, les avions ou les footballeurs », dénoncent de nombreux chanteurs allemands et artistes dans une lettre ouverte. Le célèbre trompettiste de jazz allemand Till Brönner a pris les devants d’une campagne nationale pour protester, dans une vidéo devenue virale, contre le manque de soutien à ses yeux des pouvoirs publics au secteur de la culture. « Je suis assez énervé », y clame-t-il, en estimant qu’ « il en va de l’existence » de 1,5 million de personnes vivant de la culture et du secteur du divertissement en Allemagne et générant chaque année 130 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
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Le chanteur baryton de l’Opéra d’Etat de Bavière Michael Nagy insiste pourtant sur le fait que les artistes prennent « ce virus au sérieux » et soutiennent « toutes les mesures nécessaires pour le combattre ». Malgré l’horizon bouché, il considère qu’avoir pu jouer ce week-end sa première devant un public, aussi petit soit-il et à quelques heures du reconfinement, est « une immense chance ». Comme beaucoup d’autres il ne sait pas quand ce sera à nouveau possible.
Philippe Gault (avec AFP)