Pourquoi Mozart ?
S. D. : C’est tout simplement mon compositeur de prédilection. Ma tessiture de soprano léger à tendance colorature et mon intérêt pour le répertoire du XVIIIe siècle me poussent à approfondir sa connaissance. Mais je ne voulais pas donner un simple récital d’airs de Mozart. Cela n’avait pas vraiment de sens. Il y a quelques années, j’avais déjà donné un programme intéressant autour des musiques écrites par Mozart pour Aloysia Weber (1760-1839). Avec Raphaël Pichon et Pygmalion, nous avons souhaité étendre nos investigations aux rapports entretenus par Mozart et la famille Weber. Trois des quatre soeurs Weber avaient, semble-t-il, une voix proche de la mienne… C’était une façon rêvée de proposer un programme cohérent qui montrerait l’évolution du compositeur.
Comment cela ?
S.D.: En dressant ce portrait de Mozart, qui a dédié tant d’oeuvres aux soeurs Weber, nous avons découvert l’homme derrière le compositeur.
Qu’entend-on ?
S.D. : Les airs pour Aloysia sont très virtuoses. En composant pour elle, Mozart donne toujours l’impression d’être à vif. Plus scientifique quand il écrit pour son aînée Josepha (notamment les airs de la Reine de la nuit dans La Flûte), il est finalement pieux quand il a affaire à Constance, la plus jeune, celle qu’il a épousée. Trois Mozart différents sont ainsi révélés…
R.P.: Les notes écrites trahissent le psychisme de Mozart. Prenez l’air " Popoli di Tessaglia ", avec les fameux contre-sol de la fin. Il a été composé au moment où Mozart et Aloysia étaient encore très proches : le compositeur finit de l’écrire quinze jours après sa rupture avec elle. Peut-être que ces notes suraiguës n’étaient qu’une vengeance d’amoureux éconduit. Peut-être ne voulaitil pas la mettre en valeur mais au défi. Un autre exemple : " Nehmt meinen Dank ". Là, on avance dans la vie de Mozart. Trois mois avant son mariage avec Constance, Mozart écrit cette page pour Aloysia où il est question d’adieu… Il vient de dire à son père, dans une lettre, qu’elle est toujours présente dans son coeur. L’air en question est d’ailleurs un petit joyau.
Pourquoi n’a-t-il pas achevé les pages dédiées à Constance?
R. P. : Peut-être parce que cet amour raisonnable n’avait rien à voir avec celui qu’il portait à Aloysia.
Comment avez-vous travaillé sur ce programme?
S.D. : Nous avons sélectionné les airs et cherché une trame, un fil dramatique. C’était un peu un fantasme de notre part. Puis nous avons élagué afin d’arriver à la durée d’un disque. À la fin, on avait un portrait de Mozart vu à travers trois interprètes.
R.P.: Il y a eu une part d’évidence, environ la moitié du disque nous semblait indispensable. L’autre correspondait à des découvertes. Nous avons cherché, lu, échangé des partitions, nous nous sommes immergés dans les biographies et la correspondance.
Qu’avez-vous appris ?
R.P. : En lisant les biographies des XIXe et début du XXe siècles on constate un dédain pour les plus petites pièces, qui nous ont pourtant bien intéressés. Mozart n’annonce pas forcément Beethoven!
Quelles oeuvres avez-vous découvertes ?
R. P. : Les Solfeggio K. 393, par exemple, qui vont bien au-delà du simple exercice. Ainsi notre programme alterne les accompagnements d’orchestre, au pianoforte, ou même la voix a cappella.
S.D. : Le but est de surprendre l’auditeur, de ménager des surprises.R. P. : Pour présenter l’oeuvre du compositeur le plus dramatique de l’histoire, il fallait bien rendre le programme… dramatique !
Est-ce dur de chanter Mozart ?
S.D. : La difficulté est de répondre aux attentes du public. La musique doit être tellement limpide, le rythme harmonique tellement fluide, la mélodie tellement souple que la difficulté est immense. Comment ne pas décevoir ?
R.P. : Plus la musique semble évidente et plus elle est difficile à jouer.
S.D. : Cette simplicité mozartienne cache un art très complexe. Et quand bien même on approcherait la perfection technique dans certains airs, il manquerait toujours l’expression des sentiments. La Reine de la nuit est avant tout une femme en colère.
Comment faire respirer la phrase mozartienne ?
S.D. : Mozart responsabilise l’interprète. Il dirigeait souvent ses propres oeuvres, dans lesquelles on perçoit l’évidence de la relation entre le chef et ses chanteurs. Le silence et le souffle sont fondamentaux.
R.P. : J’ai l’impression qu’après certains points d’orgue Mozart a créé une musique encore plus belle que la sienne. C’est-à-dire que les silences engendrés à la fin des points d’orgue peuvent être encore plus beaux que les notes elles-mêmes. Il faut donc hiérarchiser les différents points d’orgue d’un même morceau, varier les effets. Chez Mozart, contrairement à la plupart des compositeurs du XVIIIe siècle qui abusent du procédé, les points d’orgue ne sont jamais gratuits.
S.D. : Il a écrit des kilomètres de musique mais jamais au kilomètre. Mozart compose toujours à partir de sentiments humains et touche le public au coeur.
Quel rôle mozartien aimeriez-vous aborder dans les années à venir ?
S.D. : Susanna des Noces de Figaro. Voilà un personnage qui évolue beaucoup au sein de l’oeuvre. Plus tard, Donna Anna dans Don Giovanni. J’ai tout mon temps…
Quels sont vos modèles d’interprètes ?
S.D. : Pour la beauté du chant, Lucia Popp est inégalable.
R.P. : Ce disque a été notre premier disque de répertoire " classique " après de nombreuses expériences baroques. Je voulais un théâtre, des instruments d’époque.Beaucoup de couleurs. Et aussi le legato d’un orchestre tourné vers l’avenir. Des modèles ? Frans Brüggen. Il avait le souci du détail et du chant. Et René Jacobs et son travail de fond sur les opéras de Mozart.
C’est délicat de travailler lorsqu’on est en couple?
R.P. : Non, mais c’est délicat d’en parler !
SABINE DEVIEILHE et RAPHAËL PICHON : Secrets de familles
Radio Classique
Avec leur premier disque en duo consacré à Mozart, la soprano Sabine Devieilhe (photo) et Raphaël Pichon, le chef de l'ensemble Pygmalion, réalisent un coup de maître: « Les soeurs Weber » est l'un des « Chocs de l'année 2015 de Classica ». Explications et secrets de fabrique.