Pourquoi enregistrer L’Enlèvement au Sérail après les derniers opéras de Mozart ?
J’ai tardé à aborder L’Enlèvement au Sérail car je n’avais jamais été convaincu par les productions scéniques. Le livret ne me paraissait pas très bon non plus. Et puis j’ai pris le temps de le lire dans son intégralité (il est toujours coupé, remanié, trituré), de l’étudier, de comprendre comment il avait été élaboré et de le comparer avec celui de Bretzner dont s’est inspiré Stephanie, le librettiste de Mozart. Les qualités de cet opéra me sont alors apparues plus évidentes que jamais. Mais il a fallu, une fois de plus, aller à l’encontre des traditions d’interprétation héritées du XIXe siècle.
C’est-à-dire ?
Ne pas confier le rôle de Konstanze à une soprano dramatique à la voix lourde mais à une chanteuse capable d’évoluer sans peine dans les aigus. Dans son fameux air " Martern aller Arten ", elle lutte contre ses sentiments illustrés par le quatuor de solistes instrumentaux. Elle ne veut pas reconnaître qu’elle n’est pas insensible au charme de Selim : son prénom le lui interdit ! Trop souvent, les chanteuses luttent contre la musique et non contre cet amour qu’elle refuse. C’est un personnage important, c’est évident. Bien sûr, il apporte une note comique dans la partition. Quand il déroule le catalogue des supplices qu’il rêve d’infliger à Pedrillo, il veut d’abord le décapiter puis le pendre : c’est évidemment absurde. C’est pourquoi je commence lentement puis accélère pour qu’on entende et comprenne le texte. Mais Osmin suscite aussi l’effroi, comme une caricature de Mahomet. Et puis il ne faut pas oublier que le créateur du rôle, Johann Ignaz Ludwig Fischer, était la basse la plus célèbre de son temps. Il fallait que Mozart lui offre une musique intéressante.
Comment différencier les deux couples, notamment les hommes Belmonte et Pedrillo, tous deux ténors ? Mozart leur confie-t-il des musiques différentes ?
Belmonte est un ténor d’opera seria dont le chant, d’abord naturel et sobre, se charge de coloratures au contact de Konstanze. Pedrillo, en revanche, est un ténor de demi-caractère qui nécessite un beau timbre et un très bon acteur. Comme Papageno dans La Flûte enchantée c’est un trouillard même s’il bombe le torse dans " Frisch zu Kampfe ".
RENÉ JACOBS : « Un opéra aux qualités plus évidentes que jamais »
Radio Classique
Après la trilogie Da Ponte, après Idoménéeet La Flûte,René Jacobs a enregistré "L'Enlèvement au sérail" pour Harmonia Mundi. Rencontre.