Que ce soit en interprétant Gloire à l’Egypte dans Aida ou Gloire immortelle de nos aïeux dans Faust, l’image et la performance sont singulières : à l’Opéra de Paris, les choristes masqués parviennent à chanter à l’unisson malgré cette « barrière de son ».
Pour la choriste Sylvie Delaunay, chanter avec masque « perturbe beaucoup l’émission du chant »
Près de 70 des chanteurs des chœurs de l’Opéra National de Paris (ONP) ont participé à l’enregistrement d’une nouvelle version du Faust de Charles Gounod diffusée vendredi 26 mars sur France 5. Soit, après La Flûte enchantée de Wolfgang Amadeus Mozart et Aida de Giuseppe Verdi, la 3e captation audiovisuelle d’une œuvre lyrique au sein de l’institution, depuis la fermeture des salles fin octobre pour cause de pandémie. Privés de spectateurs depuis un an, les artistes des chœurs sont heureux d’être sur scène. Mais chanter en temps de coronavirus reste un défi car, contrairement aux solistes, ils doivent être masqués en raison de leur proximité et se font tester une fois par semaine (les solistes, eux, le sont chaque jour de représentation ou de répétition sans masque).
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Chanter avec masque « perturbe beaucoup l’émission du chant (…) il y a une barrière devant votre son », explique la choriste Sylvie Delaunay. « Quand on chante de l’opéra, on a de grosses inspirations, de grosses expirations, donc si la respiration est perturbée, on fatigue beaucoup ». Exit aussi les masques FFP2 « dès qu’on prend une inspiration, on les avale ! « . les choristes privilégient plutôt les masques chirurgicaux raides (et noirs pour le spectacle). Lors des répétitions en studio, les chanteurs se tiennent à distance les uns des autres, une difficulté supplémentaire. « On s’entend moins bien: on entend la voisine de droite, la voisine de gauche qui sont à 1,50 m, celle de derrière mais le son du groupe est beaucoup plus éloigné (…) la résonance du volume n’est plus du tout la même », ajoute Sylvie Delaunay qui travaille à l’Opéra depuis 23 ans.
Pas de distanciation extrême afin de respecter la cohésion des chœurs
S’il y a quand même dans ce Faust une scène de boîte de nuit qui fait penser au monde d’avant dans la version très moderne de l’Allemand Tobias Kratzer, les mises en scènes ont été adaptées pour limiter les contacts. Mais pas de distanciation extrême pour respecter la cohésion des chœurs. « Les artistes lyriques sont exubérants, donc on est limité dans l’expression », indique la choriste. Les artistes se plient volontairement à ces règles, « pour pouvoir travailler ».
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Une mission d’uniformisation qui n’est pas évidente pour José Luis Basso, chef des chœurs à l’Opéra depuis 2014 (qui sera bientôt remplacé par Ching-Lien Wu, 1ère femme à ce poste). Avec le masque, « on a perdu un peu dans l’articulation, la diction (…) le travail des artistes des chœurs est justement d’exagérer la prononciation des mots, mais les résultats ne sont pas mal », plaisante-t-il tout en rappelant leur importance mais aussi la complexité de leur travail.
Les examens pour entrer dans les Chœurs de l’Opéra sont « très exigeants »
Le cliché qui agace le plus le chef des chœurs ? « Penser qu’un artiste des chœurs est une personne qui n’a pas fait une grande carrière comme soliste, alors pour gagner sa vie, il chante dans un chœur. Ce n’est pas du tout comme ça ! ». « Les examens pour entrer à l’Opéra sont très exigeants », dit-il, citant la maîtrise de plusieurs langues, de différents styles musicaux, la musicalité, la lecture à vue. Pour Alexander Neef, directeur général de l’Opéra, l’important est d’assurer un environnement sanitaire sûr pour le personnel et les artistes mais aussi de continuer à travailler. « On n’existe pas si on ne joue pas », dit-il.
Philippe Gault (avec AFP)