VOUS L’AVEZ RÊVÉE, GERGIEV L’A FAIT

Il fallait le talent d'un grand chef tel Valery Gergiev pour donner toute la dimension narrative et spectaculaire de la Symphonie « Fantastique » de Berlioz. Ce manifeste de la musique romantique exprime toutes les émotions d'un jeune poète en proie à ses délires les plus fous.

Plus volontiers célébré Outre Manche que dans son propre pays, Berlioz a bénéficié d’une discographie extraordinaire grâce aux orchestres anglais et à la persévérance passionnée de chefs tels que Beecham, Gardiner et Colin Davis. Ce dernier avait gravé avec le LSO, pour Philips, dans les années 1960 et 1970, une intégrale qui avait fait date. La mort l’a empêché d’achever un second cycle déjà bien entamé avec la même formation (LSO Live). Rares sont les chefs russes (à l’exception notable de Temirkanov et Rojdestvenski) qui aient gravé Berlioz et tout particulièrement la Fantastique. En 2003, Gergiev avait proposé une première version de l’oeuvre avec le Philharmonique de Vienne. Une lecture décevante en raison d’une certaine trivialité. Le nouvel enregistrement change la donne.
L’éditeur a eu l’excellente idée de proposer deux gravures, l’une en SACD et l’autre au format Blu-ray. Celui-ci modifie radicalement la prise de son. Cela est d’autant plus fragrant dans le cas de la salle du Barbican de Londres, qui n’est pas réputée pour sa qualité acoustique. Nous tenons un disque de démonstration ! Gergiev dirige Berlioz depuis des années. Sa Fantastique est d’ une dimension narrative exceptionnelle. Voici un " roman " mis en musique ! Le théâtre prend ici le pas sur la démonstration d’une écriture révolutionnaire. Gergiev est assurément plus proche d’un Munch que d’un Boulez ! Il est instructif de comparer Colin Davis et Gergiev. La première version de Davis avec le LSO (1963) est assez proche de ce que nous entendons aujourd’hui ­ on mettra en second choix les lectures avec le Concertgebouw (1974), le Philharmonique de Vienne (1990) et à nouveau avec le LSO (2000). Le chef anglais traduisait le contenu psychologique, de l’oeuvre avec un orchestre chauffé " à blanc ".
Gergiev retrouve ces tensions exacerbées. Les gradations dans Passions (premier mouvement) sont ainsi canalisées avec justesse. Un Bal révèle son caractère volcanique, loin de l’univers de la valse viennoise. Il est souvent bien difficile d’animer La Scène aux champs, mouve ment qui déroute certains chefs qui semblent s’y ennuyer. Ici, les solistes du LSO s’amusent en chambristes. La Marche au supplice devient une marche guerrière, un chant révolutionnaire, tenu avec une rage peu commune. Le Finale, enfin, traduit le caractère fantastique des climats. La puissance acérée de l’orchestre s’enrichit d’une multitude de détails, de prises de risques savoureuses dans un tempo relativement retenu. Cette version de la Fantastique s’avère supérieure à la référence de Colin Davis.
En complément, l’Ouverture de Waverley possède à la fois la vivacité toute mendelssohnienne et l’esprit des musiques militaires des compositeurs de la Révolution française auxquelles Berlioz était attaché. Espérons que nous ressentirons une émotion comparable avec les parutions prévues de Roméo et Juliette ainsi que de la Damnation de Faust. En attendant, Gergiev et le LSO accompagnent l’altiste Antoine Tamestit dans Harold en Italie et la mezzo-soprano Karen Cargill pour La Mort de Cléopâtre. Le chef et l’altiste imaginent une symphonie concertante qui ne manque pas de grandeur. Hélas, la voix de Karen Cargill souffre dans les graves. Il est bien difficile de succéder à Janet Baker, Jessye Norman et Yvonne Minton (LSO0760, 63′, 5555). Priorité donc à la Symphonie Fantastique !