UN COLOSSE AUX DOIGTS DE VELOURS ET AU MENTAL D’ACIER

Nichola Angelich met ses moyens phénoménaux au service de l'expression musicale et non de la seule virtuosité pianistique.

Nicholas Angelich a beaucoup joué Liszt et signé une version remarquée de ses Années de pèlerinage (Mirare, 2003). La Sonate attendait. On sait qu’elle éprouve la technique de l’interprète (quelle oeuvre pourrait cependant inquiéter un tel pianiste ?) mais l’oblige surtout à se dévoiler : rappelons que Liszt a systématiquement refusé de la faire travailler à ses élèves, la jugeant trop personnelle. Comme attendu, Angelich impressionne par son assurance digitale (la fluidité inouïe des arpèges, notamment) et sa maîtrise mentale. Il domine tous les paramètres, dynamiques, chromatiques et, plus encore, architecturaux de la partition dont il présente une conception entièrement organique, offrant un parcours sonore sans baisse de tension. L’échelle de gradation du toucher et de la dynamique semble infinie, capable d’apprécier les plus infimes nuances. À la différence d’Argerich (Deutsche Grammophon, 1971), Zimerman (idem, 1990), Pogorelich (idem, 1991), sans oublier des aînés, tels Cortot (EMI, 1929), Horowitz (Warner, 1932, puis RCA, 1977), Simon Barère (APR, 1947) ou Richter (Decca, 1966) qui ne craignent pas le conflit et ses fracas, Angelich semble vouloir le désamorcer en intimidant l’adversaire par la puissance de ses moyens. Cette politique de la dissuasion s’impose par un geste ample, des tempos retenus et un son d’une rare plénitude. À cette sonate, dédiée par Liszt à Schumann, répondent les Kreisleriana. Au tout organique du premier succède le morcellement d’un cycle de pièces brèves du second. La musique est certes habitée d’un tout autre esprit mais le pianiste semble la considérer dans le prolongement de la sonate et veut la soumettre à sa propre règle. Il livre alors une lutte fantastique, acharnée, singulière, passionnante. Les deux études de Chopin, régal d’élégance et d’intelligence musicale, concluent ce récital d’une intensité peu commune.