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Il ne pouvait pas y avoir meilleur ambassadeur que Joaquin Achucarro dans ce programme dédié à Granados, Albeniz et Falla

Le label La Dolce Volta avait publié l’an passé un enregistrement Schumann du pianiste ­espa­gnol, une réédition magnifique. Voici une autre captation ancienne livrée sans habillage par Sony, avec un livret en espagnol uniquement et une couverture peu avenante. Dommage car rien ne prélude au plaisir que l’on prend à l’écoute de ce récital marquant. La liberté de ton, tout d’abord, cette sorte de " lâcher prise ", – du moins c’est l’effet que produit le jeu de l’interprète. Rien de calculé dans la grandeur de Los requiebros, l’orgueil fou d’El fandango del candil. Une leçon de style donc, qui fait prévaloir la dimension physique (les attaques empruntent à la guitare) dans les danses de Falla. Elles ont rarement révélé à ce point la sensualité de la chorégraphie, le paradoxe d’un compositeur dévot et brûlant de passion à la fois. L’interprète n’est malheureusement pas aidé par les deux pianos et les prises de son. Les premiers sont fatigués dans les aigus et les secondes manquent de définition avec quel­ques saturations dans les forte (Albeniz).À l’opposé d’une Alicia de Larrocha, servie par une prise de son superlative (Decca), Joaquín Achúcarro se met au service de la mélodie et du plaisir des timbres. Il prend égoïstement son temps, paresse amoureusement, sacrifiant en rectitude rythmique et équilibre des nuances ce qu’il gagne en ardeur généreuse. Il joue moins pour témoigner d’une école que pour se raconter. Ses lectures fusionnent, dans un même élan, le populaire et l’aristocratique. C’est pour cela que le charme opère avec une respiration tour à tour distante et passionnée. Tout comme Estéban Sanchez et de Larrocha hier et Luis Fernando Pérez aujourd’hui, Joaquín Achúcarro délivre une lecture des plus personnelles.