SIBELIUS PAR KAMU : L’ÉVIDENCE

Familier de Sibelius depuis longtemps, Okko Kamu réalise une intégrale symphonique d’une pureté minérale.

Au terme d’une année Sibelius sans grande surprise, cette nouvelle intégrale des symphonies s’impose comme une révélation ! L’Orchestre symphonique de Lahti en avait déjà signé une, dans les années 1990, sous la direction d’Osmo Vänskä (Bis, déjà), comptant parmi les plus fines. Entretemps, plusieurs rééditions ont incité à rebattre les cartes. Citons ainsi Leonard Bernstein-New York (Sony, Choc de Classica , dans un son nettement amélioré), Simon Rattle-­Birmingham (Warner), Lorin Maazel-Vienne (Decca), Paavo Berglund-Bournemouth (Warner – son intégrale avec le Chamber Orchestra of Europe restant la plus admirable). Les récentes tentatives de l’Orchestre philharmonique de Berlin (seconde intégrale Rattle, bien décevante) et autres phalanges prestigieuses – le LSO, avec Colin Davis, ou le BBC, avec John Storgards (Chandos) – ne sont pas parvenues à s’imposer. Okko Kamu, quant à lui, n’est pas un nouveau venu dans ce répertoire : on se souvient notamment que DG avait fait appel à ses Symphonies nos 1 à 3, réalisées à la tête de l’Orchestre symphonique de la Radio d’Helsinki afin de compléter les Nos 4 à 7 de Karajan-Berlin. Avec cette nouvelle intégrale d’une limpidité minérale, le Finlandais s’inscrit dans la lignée de ses compatriotes ­Robert Kajanus et Paavo Berglund. Le vibrato contenu des cordes, le geste qui va à l’encontre de l’uniformisation des pupitres et du fondu des sonorités, les textures translucides portent l’empreinte d’une compréhension intime de l’univers sibelien. Jamais les mots du compositeur qualifiant d’" eau pure " sa Symphonie n° 6 n‘ont paru aussi à propos. Au reste, c’est partout la carte de la " musique pure " qui est jouée : ­aucune trace de Tchaïkovski dans la première, ni de re­lents nationalistes dans la deuxième. S’il fallait trouver une filiation, ce serait davantage avec Bruckner, le mysticisme en moins : pédales de cuivres, orchestration procédant par registrations, sonorités de cathédrale… Kamu s’attache à rendre d’emblée audible la singularité de cette écriture comme la poussée organique irrépressible de la forme. Aussi n’alanguit-il ­jamais le second thème, fût-il plus lyrique. Ce refus du pathos, des climax (dans la Symphonie n° 2 par exemple) pourra frustrer les adeptes des lectures plus ouvertement engagées mais, ce que l’on perd en émotion immédiate, on le gagne en dimension visionnaire du corpus dans son entier. On est à l’opposé de l’exaltation ­romantique (le remastering aidant), de la subjectivité de Leonard Bernstein qui donnait à entendre la nature vécue à travers l’effroi (le désarroi ?) de l’homme (Faust, Manfred et Oberman réunis) face à elle. Sans doute Kamu et son orchestre connaissent-ils trop bien la nature de leur pays, qui a tant influencé ­Sibelius, pour l’exprimer via le truchement d’une cons­cience : elle est, un point c’est tout. Ici, pas de symphonie mineure : les pédales abyssales des cuivres, les vagues scélérates des cordes, le jeu des timbales en soufflet sont déjà présents dans la ­Symphonie n° 1. Peut-être Kamu aurait-il gagné à insuffler davantage de tension dans la Symphonie n° 5, un rien placide dans son déroulement ; mais, là aussi, refus de toute anecdote. Grandiose Symphonie n° 4, avec ses gouffres et ses icebergs menaçants. On perçoit nettement l’impact de cette musique sur les compositeurs (Hughes Dufourt, Pascal Dusa­pin) gravitant autour de la mouvance spectrale. Bref, déjà un classique de la discographie. Et, comme tel, indémodable.