Quand le piano devient orchestre

L’oreille de Liszt, les doigts de Martynov et les couleurs de son piano historique exaltent la grandeur visionnaire de Beethoven.

Un piano, deux pianos, avec ou sans chœur ? ", demande la Symphonie n° 9. Yuri Martynov, au terme de son intégrale, la plus aboutie et la plus originale de la discographie, répond par le Blüthner de 1867 de la collection d’Edwin Beunk qu’il avait déjà choisi pour des Symphonies nos 3 et 8 qui ne nous avaient pas totalement convaincus. Alors que nous pensions entendre une lecture d’une grande clarté polyphonique, nous sommes surpris par la puissance sonore. Les micros sans doute placés autrement que dans les précédents ­volumes donnent la mesure du défi surhumain que se lance Martynov : endosser à la fois les costumes du pianiste et du chef d’orchestre. Il pense au volume des pupitres et, comme le souhaitait Liszt, il équilibre les voix non en les surchargeant mais en les allégeant. Le travail du transcripteur consiste bien souvent à soustraire les notes et non à en ajouter… C’est donc d’une " réorchestration " (au piano) qu’il faut parler ! Et on ne peut qu’être sidéré, tout d’abord, par l’impulsion nerveuse au service d’une conception grandiose de l’œuvre. Ensuite, par la vérité – il n’y a pas d’autre terme – de l’interprétation. Faites le test : passez alternativement d’une version symphonique (sur instruments anciens) à cette transcription. On confond rapidement les deux. Le rebond des percussions, la frénésie des étagements sonores, le souffle épique, l’héroïsme trépidant, la virtuosité du rubato même, la projection du chant dans l’Adagio, l’illusion des crescendos dans le finale… Il y a dans cette lecture autant de mystère que d’ardeur spirituelle. On franchit ainsi les portes du romantisme à l’époque de Liszt et de Habenek, le chef français dont Wagner disait que lui seul restituait la grandeur des symphonies de Beethoven. Quel orchestre ! Pardon : quel pianiste !