Vous avez collaboré avec des détenus de la prison de Clairvaux pour la composition d’Instants limites. Comment cela s’est-il passé ?
Ce fut une expérience assez forte à partir d’un choix de textes de détenus. C’est un monde à part, bien sûr, et j’ai voulu dans la mesure du possible restituer la personnalité de chacun. J’avais d’ailleurs une certaine appréhension : plusieurs textes étaient magnifiques, mais je n’aurais pas eu l’idée de les mettre en musique, ou je me l’interdisais. A contrario, j’avais craint de me retrouver face à des textes dont je n’aurais su que faire – ce qui ne s’est pas produit, ni en 2012, à l’occasion d’une première expérience pour la composition d’Instant limites, ni cette année. À chaque fois, je suis parvenu à me les approprier. Il y a probablement quelque chose qui transcende la simple littérature, une force brute.
De quand date votre collaboration avec l’Ensemble vocal Sequenza 9.3, qui joue Clair Obscur ?
Tout a commencé il y a quatre ans, mais ce premier CD réunit des œuvres plus anciennes, composées entre 1994 (le Psaume 130) et 2008 (Clair Obscur), toutes deux pour chœur de chambre et viole de gambe. C’est en fait le premier volet d’une anthologie de ma musique chorale – une bonne vingtaine de partitions – par Catherine Simonpietri et ses chanteurs, d’autant plus que ce CD rassemble celles pour voix et viole de gambe.
Pourquoi cette passion pour la viole ?
Je suis tombé amoureux de l’instrument en entendant Jordi Savall à partir des années 1970 ; il y a eu ensuite Wieland Kuijken et d’autres. En revanche, l’idée de composer pour viole est venue par hasard, à l’occasion d’un concert de l’Ensemble Sagittarius qui chantait également des œuvres de Schütz pour le même effectif. J’ai beaucoup travaillé pour oublier le violoncelle, en fait ! La viole de gambe n’est pas l’ancêtre du violoncelle, c’est un tout autre instrument. Même registre, mais conçu et joué différemment : pas de vibrato, il y a sept cordes, et l’aigu n’est pas aussi éclatant que le violoncelle, alors que les graves sont très puissants. Une technique bien différente pour un tout autre monde, et si un instrument se rapproche si étrangement de la voix humaine, c’est bien celui-là – d’ailleurs ce n’est pas un hasard si une pièce de Marin Marais s’appelle Les Voix humaines.
Un mot sur vos Vêpres de la Vierge, commande de " Musique sacrée à Notre-Dame ", qui seront créées en décembre prochain ?
Ce ne sont pas des Vêpres dans l’esprit de Monteverdi, car il fallait respecter le cahier des charges qui était de suivre l’ordre des textes des vêpres célébrées à Notre-Dame tous les dimanches après-midi. Le but aussi est de mettre en œuvre l’ensemble des effectifs disponibles, les chœurs, y compris ceux d’enfants, et les deux orgues. J’avais droit à quelques instruments, et j’ai choisi les cuivres, pensant aussitôt à cet ensemble merveilleux que sont Les Sacqueboutiers. Je préfère les instruments anciens, car je trouve que ceux d’aujourd’hui ont gagné en puissance mais perdu en raffinement, en couleurs, en personnalité. Mais je dois reconnaître que pour jouer La Chevauchées des Walkyries, le trombone est préférable à la sacqueboute ! Plaisanterie mise à part, j’aurais préféré l’orgue baroque de la cathédrale de Ségovie à celles de notre-Dame – mais la commande est ainsi, et les orgues de Notre-Dame restitueront aussi bien l’intimité de ces Vêpres.
Disques
Clairvaux Instants limites. Pascal Gallois, Jean-Luc Menet, Régis Pasquier, Ens. Aedes (Aeon).
Clair Obscur. Christine Plubeau, François-Yves, Ens. Sequenza, dir. Catherine Simonpietri (Decca).
Concert
Paris, Notre-Dame, 5/12 à 20 h : " Vêpres de la Vierge, de Monteverdi à Philippe Hersant ". Yves Castagnet, Olivier Latry (orgue), Alain Buet (bar.), Maîtrise de Notre-Dame, Les Sacqueboutiers, dir. Lionel Sow
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