Pour restituer la Sonate D. 959 à l’allure faussement simple, car enrichie d’un enchevêtrement extraordinaire de digressions, l’interprète choisit une lecture, apparemment objective. En première écoute, cela donne le sentiment que le pianiste n’éprouve guère de compassion pour la destinée douloureuse de Franz Schubert (nous sommes en 1828). Le tempo nous heurte parce qu’il ne nous dit pas ce que nous aimerions entendre. Philippe Cassard tire progressivement l’oeuvre vers une forme d’expressionnisme, style qui appartient au début du XXe siècle. Les " gifles " du Scherzo n’en sont que plus glaçantes. Il refuse que l’oeuvre de Schubert soit enfermée dans une seule représentation du romantisme. Le lied conclusif, répété jusqu’à l’obsession, tente de panser la douleur, Philippe Cassard jouant admirablement des silences terrifiants. On sera tout aussi interloqué par la manière un peu distante avec laquelle le duo aborde les trois autres partitions à quatre mains. Le Voyage d’hiver (en fa mineur identique à la Fantaisie) marque de son empreinte ces trois pièces. L’idée des schubertiades n’existe plus, de même que la notion d’improvisation ou de liberté, tellement la structure nous écrase de son poids sonore.L’équilibre entre les deux pianistes est d’autant plus abouti qu’ils obtiennent des timbres stupéfiants comme ces tessitures d’orgue dans l’Allegro (à partir de 7’40 »). Acte musical, mais aussi confession presque littéraire, la Fantaisie, sous les doigts des deux musiciens est comme " orchestrée ". Les mélodies se juxtaposent et se heurtent jusque dans la fugue conclusive. L’espace sonore est saturé, traduisant l’idée de l’enfermement. Un terrifiant et magnifique voyage.
PHILIPPE CASSARD INTERPRÈTE SCHUBERT
Radio Classique
Après des « Impromptus » inoubliables, Philippe Cassard ne se lasse pas d’explorer, dans ce nouvel album, l’âme tourmentée de Schubert.