MOZART SANS FILET

Au chant trop policé, Dorothea Röschmann préfère la vérité douloureuse des êtres.

On ne chante plus comme ça, si plein, si vibrant, éliminant avec un goût si sûr toute mièvrerie, toute fadeur. Seul ici le " Zeffiretti lusinghieri " d’Ilia (Idoménée) nous rappelle qu’encore en 2004, à Salzbourg, Dorothea Röschmann était la plus exquise et frêle Ilia qui soit, sensible et traçant sa ligne comme la jeune Jurinac, et que personne au monde ne soupirait Pamina comme elle. La voix évidemment s’est corsée, élargie, a pris un or plus sombre. Et indéniablement (on est ici en concert) un son par-ci par-là, tel aigu en fin de phrase, pourra échapper à son contrôle. Drame oblige, et il n’y a que ça dans tous les airs ici groupés. Jamais elle n’affadit, n’édulcore, mais laisse la déchirure à nu, et tant pis si ça se marque dans la voix. Mais la tenue de la ligne de chant est souveraine ; le legato est archet à la corde, la tension, la vibration d’âme le faisant presque éclater. Le récitatif devient absolue musique et impose la scène là où d’autres ne mettront que des mots : c’est d’une évidence et d’une autorité à la Callas, rompant la voix, pas fait pour plaire, mais donnant un vrai frisson, le " baratro mortale " d’Elvire (" In quali eccessi ") étant à cet égard vertigineux.
Quelques-uns haïront qu’une voix, cherchant la vérité du coeur déchiré et essentiellement cela, prenne tant de risques. Mais les croches terminales soulevées d’un souffle dans " Porgi, amor ", la récapitulation de " Dove sono ", le retour sur elle de Vitellia sont le chant mozartien le plus incarné, le mieux tenu pourtant, et expressif, qu’on puisse entendre aujourd’hui. C’est Mozart mis à nu. Croyez-moi: c’est le seul vrai, il fait le plus d’usage.