L’ULTIME FEU ÉLECTRISANT DE CHÉREAU

BelAir publie l'« Elektra » du festival d'Aix-en-Provence 2013. Magistral.

Chéreau, c’était un tout, pensée (voir le bonus de son Interview), décor, lumière, action, mouvement, fascination, et envahissement physique. Réduit à l’écran plat, son art perd et gagne. Il le savait, lui qui ne voulait désormais que Stéphane Metge pour figer quelque chose de l’instant vivant, du souffle de ses spectacles, comme il l’aurait voulu, lui-même. Assurément, on perd quelque chose en matière de lieu, d’échelle, de vibration : l’iwan omniprésent se noyant d’ombre n’est ici qu’épisodique à l’image, l’irruption de la reine n’a pas le pouvoir paralysant qu’elle avait sur la scène autant que sur la salle. Certes ! Mais on gagne cet attachement incisif, fouaillant, de la caméra, obsédée d’un regard, d’un geste, d’une moue, ou simplement attentive au chant, chose physique s’il en est, comme tout le théâtre de Chéreau justement. Personne n’a montré ainsi la fille caressant sa mère avant de lui cracher son venin, manque d’amour, besoin de l’autre. Et le gros plan, souvent si ravageur à l’opéra, devient ainsi manifeste expressif, parce que théâtre vrai. On saluera donc une fois encore le trio féminin que Chéreau a inspiré, Herlitzius, bête de scène absolue, géniale, Meyer, tigresse toute en retenue, Pieczonka, si douce, et Petrenko aussi, enfant d’ogre sombre, et la vieille génération, Mazura, McIntyre, Alexander, et les autres qui peuplent ­l’arrière-plan. Chacun, porté comme en une nuit transfigurée par la battue de Salonen, d’une vitalité, d’une clarté, d’une subtilité d’orchestre qui se font feu brûlant, est d’un chant irrésistible, car tout aussi vérité que le jeu.