LE VIEUX MAÎTRE N’A PAS DIT SON DERNIER MOT

Bientôt nonagénaire, le compositeur de musique électro-acoustique n'a rien perdu de sa vigueur créatrice, comme le prouvent ses deux oeuvres récentes.

A quatre-vingt-huit ans, l’infatigable Pierre Henry ne donne aucun signe de ralentissement ni de tarissement de son inspiration. Bien au contraire, loin d’être égrotante ou cacochyme, sa musique demeure d’une stupéfiante fraîcheur, à croire que derrière son aspect chenu, ce compositeur dissimule l’âme d’un Dorian Gray. Continuo, créée le 8 janvier 2016 à la Philharmonie de Paris, s’avère un formidable continuum très exotique, initié par un tam-tam et un battement cardiaque qui s’introduisent dans une jungle de sons qui place leur créateur dans la position d’un Christophe Colomb électroacousticien reconstituant un nouveau monde à partir de bruits. Jouant sur la variété des timbres et des rythmes, cette matière sonore très vivace épouse une trajectoire horizontale qui avance inéluctablement, déchiffre, taille dans les broussailles touffues d’éléments sonores traités d’une manière sensitive. Cette physiologie du son crée un théâtre des bruits qui opère des déviations, explore des contrées inattendues, revient sur ses pas, portant la sonore des affects au plus haut du baroque, si le baroque est bien l’art de dilapider tous ses moyens.Pierre Henry a intégré dans son domaine musical l’énergie frustre et rudimentaire de la techno et de l’électro-pop tout autant que les textures plus ambitieuses des compositeurs qui s’expriment exclusivement par le médium électronique. Ces apports donnent à sa musique une vitalité et une urgence très actuelles. En associant ainsi à une architectonie issue de la musique concrète le radicalisme sombre des courants électroniques contemporains, Pierre Henry se renouvelle et prouve qu’il reste toujours à la pointe des arts soniques. Ses trames de bruits poétisés par son imaginaire révèlent encore et toujours le chaos du vivant, ses beautés comme son angoisse.