LE MONDE D’HIER

Bien plus qu'un parcours touristique, les Khatchatryan proposent un voyage émouvant dans l'histoire de l'Arménie.

On trouvera naturellement la Danse du sabre dans l’arrangement de Heifetz, mais le programme que proposent le frère et la soeur Khatchatryan est bien plus qu’une simple juxtaposition de miniatures: plutôt un voyage dans l’histoire, du pionnier Komitas Vardapet (1869-1935) à Arno Babadjanian (1921-83), et la géographie de l’Arménie. Les Sept danses folkloriques pour piano du premier n’agissent-elles pas comme le pendant arménien de la Suite espagnole d’Albéniz? Il y a quelque chose d’immédiatement communicatif dans cette musique qui tient à la fois d’une comptine an- cestrale, à la simplicité lapidaire, et d’une liberté farouche et hautaine propre aux Tziganes. Le musicologue pointera les gammes et modes caractéristiques dont certains seront étudiés par Bartók, la forme du verbunkos (Rhapsodie d’Eduard Bagdasaryan) ou l’apparition en filigrane du Dies Irae grégorien (diabolique Introduction & Perpetuum mobile d’Edvard Mirzoyan). Plus intuitif, le mélomane croira reconnaître par endroits Prokofiev et Enesco, ailleurs l’Albéniz mauresque d’El Albaicin… et même Schoenberg dans les âpres dissonances de Babadjanian.
La sublime mélodie " La Grue ", perçue par la diaspora arménienne comme un symbole du mal du pays, ouvre le disque avec une nostalgie dont il ne se départira plus. Quoique slave jusqu’au bout de l’archet, Sergey Khatchatryan parvient à tempérer l’Appassionato souvent à fleur de peau de ces pages grâce à un jeu raffiné, aux aigus percutants (Perpetuum mobile), joint à un sens du phrasé souverain. À sa soeur Lusine revient le plus complice des accompagnements et une compréhension intime des morceaux pour piano solo où la variété des attaques se conjugue avec une vocalité sous-jacente. Un disque magnifique.