Votre version du Sacre du printemps, aux traits acérés et aux couleurs intenses, semble puiser sa sève dans une terre des origines. Est-ce un retour aux sources de cette musique ?
Avant de devenir chef d’orchestre, je voulais être compositeur. Je dirige comme si j’étais l’auteur de la musique, en respectant sa forme et l’expression qu’elle appelle. Il faut alors lutter contre une prétendue tradition, oublier les clichés, le confort des habitudes, se demander ce que voulait dire compositeur et non chercher le son qu’on a envie d’entendre. Le Sacre du printemps doit s’appréhender comme un rituel : ce n’est pas une pièce de concert ni une démonstration pour orchestre américain. Ce n’est pas du Bernstein ni du Copland. C’est une musique nourrie des traditions d’Europe de l’Est, des Balkans, de l’Asie.
Y a-t-il des éléments de folklore ?
Oui mais ils n’apparaissent pas de façon aussi évidente que dans Les Noces et ils relèvent davantage de l’imagination que de la citation. Stravinsky a compris que le folklore pouvait se montrer plus moderne que le dadaïsme et comment l’église avait assimilé des rituels païens. S’il évoque la grand-mère à sa cuisine, il n’oublie pas que les champignons peuvent être vénéneux.
Des musiciens occidentaux peuvent-il alors saisir ces éléments cachés ?
Oui parce que la musique est si bien écrite qu’elle peut être interprétée par tous : jouer les notes est déjà impressionnant. Mais il faut comprendre la langue du Sacre. Pour y parvenir, nous avons répété non pas avec les instruments mais en chantant, pour prendre conscience du galbe du phrasé. De même, la danse et les gestes permettent de saisir physiquement cette musique : sinon, on se perd dans l’abstraction.
Votre enregistrement se distingue également par sa rare lisibilité. Les instruments d’époque y ont-ils contribué ?
Oui, incontestablement, car ils permettent un son plus tranchant. Et puis je voulais un nouvel équilibre entre les cordes et les vents, une transparence de la texture orchestrale.
Avez-vous enregistré par petites ou grandes sections ?
L’enregistrement a été réalisé dans les conditions du concert. C’est indispensable pour parvenir à l’état de transe que demande cette partition.
TEODOR CURRENTZIS : « Le Sacre n’est pas une pièce de concert ! »
Radio Classique
Après avoir enregistré des Purcell et Mozart qui ont divisé l'opinion, Teodor Currentzis propose une version étonnante du "Sacre du printemps" de Stravinsky. Rencontre avec un chef qui aime bousculer les habitudes.