Le tour du monde de Glenn Gould en 81 CD

Tout Gould : l'intégrale des enregistrements chez Columbia du génial pianiste a été remasterisée et ressort dans un méga-coffret édité par Sony Classical. L'occasion rêvée d'approcher au plus près l'art du musicien iconoclaste. Un cadeau de Noël avant l'heure.(...)

Des premières « Variations Goldberg » de Bach de 1955 jusqu’à « Siegfried-Idyll » de Wagner où l’artiste quitte son piano pour la baguette en septembre 1982, un mois avant sa mort, rien ne manque. Jamais Glenn Gould n’aura si clairement chanté et jamais les grincements de sa fameuse chaise auront si activement accompagné sa musique. Plus sérieusement, jamais son piano n’aura sonné avec autant de présence, d’aplomb et de plénitude. Les basses sont bien mieux articulées laissant ainsi suivre sans peine la main gauche. On a l’impression d’entendre l’artiste en direct et non derrière un rideau.

A l’occasion des soixante ans de la signature entre le pianiste canadien et le label Columbia, Sony Classical réédite l’intégralité de sa discographie au terme de trois années de « remasterisation », travail de nettoyage des bandes originales. Ce qui pourrait paraître qu’un simple gadget pour fondus de haute-fidélité permet en fait d’approcher au plus près la volonté de l’artiste, de percevoir ses plus subtiles nuances de phrasé et d’appréhender un jeu essentiellement basé sur la clarté des lignes : une entreprise déterminante pour mieux entendre Gould qui, à trente-deux ans, las de la vie d’artiste, quitte définitivement la scène et décide de ne plus communiquer avec son public que par l’enregistrement dont il maîtrisait tous les techniques, de la prise de son au montage.

« Glenn Gould avait une vison des médias et de la technique incroyablement moderne », explique Michael Stegemann, musicologue allemand et grand spécialiste de l’artiste. « Lecteur du philosophe Marshall McLuhan, il avait anticipé notre quotidien, Internet et les réseaux sociaux. Il croyait en la créativité d’un public qu’il imaginait actif. » Convaincu que le concert traditionnel ne lui permettait pas de s’exprimer librement, le pianiste choisit alors une vie d’ermite, concentrée sur son travail. « J’ai passé l’essentiel de mon temps seul. Ce n’est pas que je sois asocial, mais si un artiste veut utiliser son cerveau pour un travail créateur, ce qu’on appelle l’autodiscipline […] est quelque chose d’absolument indispensable » déclarait-il.

Choix de répertoire originaux

Michael Stegemann ajoute cependant de Gould souffrait de troubles psychiques (agoraphobie, notamment) qui l’ont mené à une forme d’autisme. C’est sans doute pourquoi il s’entendait rarement bien avec ses pairs. Un enregistrement légendaire a conservé une déclaration de Leonard Bernstein s’apprêtant à diriger le « Concerto n°1 » de Brahms dans laquelle il avoue au public ne pas partager la conception de l’œuvre de Glenn Gould.

Le pianiste avait bien compris le fonctionnement des médias et n’était pas avare d’excentricités qui façonnèrent un personnage. Sa chaise pliante, avachie et très basse qu’il emportait partout, ses gants et ses accumulations de pulls en plein été, son travail de nuit ont participé à la légende tout comme ses choix de répertoire, souvent originaux.

Si le répertoire de Glenn Gould est vaste, des Anglais du XVIe siècle aux Canadiens de son temps en passant, bien sûr par Bach, il connaît de sérieuses absences notamment au XIXe siècle où triomphe le piano. Beethoven, certes, mais peu de Brahms dont il estimait pourtant avoir réussi « l’interprétation des « Intermezzi » la plus sexy jamais entendue », pas de Liszt, ni de Schubert, ni de Schumann mais les rares « Variations chromatiques » de Bizet, « l’un des très rares chefs-d’œuvre pour piano à avoir vu le jour dans le troisième quart du XIXe siècle ».

S’il reconsidère souvent l’histoire de la musique, Gould n’hésite pas non plus à bousculer sa tradition interprétative. Que penser de certains Beethoven discutables, étirés (« Appassionata ») ou, au contraire, dévalés à toute allure pour en masquer les « faiblesses » (« Sonate n°32 ») sans parler des Mozart rageusement dactylographiés ? On ne peut qu’admirer en revanche des Haydn goguenards, des Brahms et des Schönberg fascinants de volupté sonore.

« On entend d’abord Gould et après Mozart », résume Michael Stegemann. « C’était un interprète très subjectif qui cherchait ses vérités, pas celle de l’œuvre Je ne connais aucun autre musicien classique capable d’ouvrir de tels horizons.»

GLENN GOULD REMASTERED 1 coffret de 81 CD Sony Classical et un livre de 416 pages. 170 € environ 

Philippe Venturini

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