Vous vivez à la fois en France et au Brésil, vous vous produisez sur les cinq continents. N’éprouvez-vous pas de lassitude à voyager ?
En vérité, je déteste les voyages, mais j’adore changer d’endroit. Si je dispose d’assez de temps dans une ville, j’aime la découvrir en profondeur. Les gens voyagent pour se détendre. Moi, c’est l’inverse. J’aime la familiarité des lieux. Avant cet été, j’étais en Russie pour des concerts avec Valery Gergiev, puis je suis allé à Leipzig et en tournée au Japon avec Riccardo Chailly.
Précisément, nous découvrons votre Beethoven avec le chef italien…
Nous avons l’intention de réaliser l’intégrale des concertos avec le Gewandhaus de Leipzig. Nous prenons notre temps. Le Concerto n°4 sera donné en 2016. Nous jouons chaque oeuvre à plusieurs reprises avant de l’enregistrer. Peut-être en public. Qui sait ? De toute façon, je n’écoute jamais mes disques, ni au montage ni après. Je suis incapable de juger, de choisir entre telle ou telle prise. Sur le moment, j’entends toujours des choses qui ne me plaisent pas. Alors, je me console en écoutant les disques d’autres interprètes…
Côté répertoire, on vous entend peu dans Haydn et Schubert, par exemple : pourquoi ?
Question d’envie. Pour jouer une oeuvre, il faut que j’en sois amoureux. J’adore Schubert, bien que sa musique soit aux antipodes de mes origines sud-américaines. Haydn ? Pourquoi pas. J’ai joué l’une de ses sonates. Il faut du temps pour assimiler son écriture. Je joue peu de musique française. Dans les années 1970, j’avais programmé la Sonatine, Alborada del gracioso, Gaspard de la Nuit de Ravel. Jamais de Fauré, malgré les conseils pressants de ma compatriote Magda Tagliaferro. J’ai finalement beaucoup de répertoires en liste d’attente.
En dehors de vos romantiques de prédilection tel Schumann…
Je suis fou de sa musique! Je la ressens viscéralement. Elle est si puissante! Contrairement à Chopin et à Liszt, Schumann n’a pas inventé un langage. Il était du signe des Gémeaux, un signe complexe, fait de dualités, que l’on rencontre chez beaucoup de grands artistes. Son oeuvre est un mélange détonant de forces, d’originalités, d’humanité.
Et, évidemment, Chopin…
Impossible de le laisser de côté car il est très jaloux, exclusif même ! Je vis avec les oeuvres comme avec des amis. Certaines vous " snobent ", d’autres vous aiment indéfiniment.
« Jouer, c’est être amoureux » Entretien avec Nelson Freire
Radio Classique
De la musique, ce grand discret dit que moins il en parle, mieux il en joue. À l'occasion de son soixante-dixième anniversaire, nouveautés et rééditions célèbrent l'immense talent du plus parisien des Brésiliens.