IGOR MARKEVITCH CONSACRÉ PAR ERATO

Soit une rétrospective de 18 CD des enregistrements du célèbre chef d'orchestre. Un répertoire immense sur trente ans et un style à l'image de l'homme.

Ce boîtier de dix-huit CD consacré à Igor Markevitch reprend l’intégralité des enregistrements His Master’s Voice échelonnés entre 1938 et 1969, la majorité étant concentrée dans la décennie 1950-1960 (essentiellement en mono). D’où quelques doublons, à commencer par les deux mythiques gravures du Sacre du Printemps avec le Philharmonia, l’une mono (1951), l’autre stéréo (1959), cette dernière alliant comme rarement la barbarie à la précision. Le style de Markevitch ? À l’image de l’homme : racé, élégant, perfectionniste, peu enclin à une débauche de sentimentalisme mais capable d’insuffler une grande tension à l’orchestre (Hermann Scherchen, avec qui il a étudié, le surnommait " mon orchidée empoisonnée ") grâce, notamment, à sa gestuelle d’une lisibilité et d’une classe extraordinaire ; du sur-mesure pour les musiques " objectives " de Bach (sa propre orchestration de L’Offrande musicale), Stravinsky ou Prokofiev que chérissait son professeur Nadia Boulanger. Le Baiser de la fée vous ennuie ? On ne saurait trop vous conseiller son interprétation à la pointe sèche du Divertimento tiré du ballet. Pulcinella vous agace ? Sous la férule de Markevitch, la Tarantella d’après Pergolèse vous paraîtra aussi significative du génie stravinskien que la Danse sacrale. On vaque avec un égal bonheur du Prokofiev le plus aimable (Symphonie Classique, Pierre et le loup deux fois, l’un avec le Philharmonia et Wilfred Pickles en anglais, l’autre avec l’Orchestre de Paris et l’impayable Peter Ustinov en français) au plus dissonant (Suite scythe et suites tirées du Pas d’acier et de L’Amour des trois oranges). Quant à la Symphonie n° 1 de Chostakovitch, elle trouve dans l’enregistrement de 1955 avec l’Orchestre national l’insolence et la modernité à la mesure du génie de dixneuf ans qui lui donna le jour. Un style qui éclaire aussi singulièrement le romantisme de Weber (L’Invitation à la danse), Tchaïkovski (Symphonie n° 4, Roméo et Juliette, extraits du Lac des cygnes et de Casse-Noisette…) ou Schubert (hiératique " Inachevée ") : on garde certes l’oeil plus sec que sous d’autres baguettes mais l’on voit plus loin… malgré l’intonation parfois perfectible de l’Orchestre national et le son d’époque. On sera donc plus réservé sur les ouvertures de Rossini, par exemple, ou l’" Italienne " de Mendelssohn (CD 1). Le disque le plus ancien (1938) est consacré aux propres oeuvres de Markevitch, Le Nouvel âge et L’Envol d’Icare, gravées à la tête de l’Orchestre national belge peu de temps après leur composition. L’opéra est représenté par ses enregistrements ­ toujours de référence ­ d’Une Vie pour le tsar (avec Boris Christoff, Teresa Stich-Randall et Nicolai Gedda) et de La Périchole. Le reste de son répertoire, immense, se situe entre Haendel et Dallapiccola ; c’est, à chaque fois, une leçon de musique.