HEINRICH VON BIBER AU GRÉ DE LA MODE

Biber connaît les honneurs de deux enregistrements superlatifs. Rachel Podger salue le violoniste virtuose, Jordi Savall le compositeur d'une musique sacrée foisonnante.

Biber deviendrait-il à la mode ? On pourrait le croire et s’en réjouir en constatant cette étonnante série de publications. Aux trois enregistrements consacrés à sa musique de violon (lire p. 95), s’ajoute ce quatrième, signé Rachel Podger qui s’inscrit en tête d’une discographie désormais très riche (Goebel, Piérot, Bismuth, Manze). Dès les premières notes de l’Annonciation, elle saisit la partition et alerte l’auditeur du mystère à venir par des guirlandes de triples croches agitées comme un signal. La violoniste britannique parcourt les quinze stations de ce chemin sacré avec un aplomb sidérant et une technique magistrale qui lui permet de surmonter les embûches d’une partition difficile. Les passages en doubles cordes et polyphoniques sont ainsi maîtrisés comme rarement mais cette aisance insolente permet aussi d’apporter aux épisodes contraints – à variations, et libres, à caractère improvisé – comme aux nombreuses danses, une souplesse de phrasé et une éloquence de tous les instants, de l’abattement à l’espoir. Les contrastes de la Sonate n° 3, La Nativité, ou de la Sonate n° 8, Le Portement de Croix, prennent alors une dimension quasi photographique. Photographie en couleurs, bien sûr, grâce à une sonorité de violon qui rehausse chacune des gravures qui accompagne les sonates de ce recueil, parfaitement cadrée par une prise de son d’un naturel exemplaire. Il serait injuste de ne pas saluer les complices de Rachel Podger qui doivent souvent croiser son archet dans d’intenses moments d’écriture en imitation.
Jordi Savall a eu besoin de mobiliser tous ses ensembles pour distribuer les cinquantequatre voix (cinquante-trois si on ne distingue pas les deux hautbois) de la vertigineuse messe de Biber. Composée pour les 1 100 ans de l’archevêché de Salzbourg, elle profitait des tribunes installées sur les piliers de la cathédrale pour organiser les voix et les instruments dans l’espace en un spectacle sonore typiquement baroque.J
ordi Savall n’est pas le premier à porter au disque cette messe déjà enregistrée, notamment par Paul McCreesh et Reinhard Goebel (Archiv) et Ton Koopman (Erato), mais il y appose sa signature inimitable qui avait déjà marqué le Requiem et la Missa Bruxellensis (Alia Vox) de Biber. La plénitude de la sonorité ne masque pourtant pas la clarté des épisodes contrapuntiques et elle s’adapte toujours aux différents temps de la messe, de l’éclat du Gloria au recueillement de l’Agnus Dei.
En complément, le musicien réédite sa fameuse Bataille à 10, pièce instrumentale hautement descriptive dans laquelle Savall et les siens s’en donnent à coeur joie.