Il y a quinze ans, vous aviez déjà enregistré le Concerto n°3…
C’était avec l’Orchestre philharmonique d’Oslo et sous la direction de Paavo Berglund. J’ai eu besoin de temps pour que l’œuvre mûrisse. Je pense que je l’interprète de manière plus profonde, dans un esprit plus "symphonique". C’est-à-dire que je me demande parfois si cette partition est un concerto ou bien une symphonie avec piano. Cela ne diminue en rien la valeur du soliste, mais l’orchestre est tellement riche et génial !
L’immense cadence du premier mouvement du Concerto n° 3 paraît un défi insensé. Comment la travaille-t-on ?
Cela prend beaucoup de temps ! Il y a tellement de choses à étudier simultanément, d’autant plus que je joue la première version, qui est plus difficile mais plus riche sur le plan harmonique. La structure harmonique me paraît prioritaire. C’est ce que j’entends en premier. Puis vient le rythme. Au final, il faut obtenir une progression équilibrée dans l’expression d’un climat monumental. Pour cela, j’ai beaucoup travaillé la main gauche, que la plupart des pianistes me semblent négliger. C’est elle qui assure la base de toute la cadence.
Que représente la virtuosité pour vous ?
Je ne confonds pas technique et virtuosité. Vous pouvez posséder des moyens digitaux extraordinaires, des doigts fantastiques, et ne produire que des effets mécaniques. La virtuosité est au service du son, d’une pensée musicale. Vous ne devez répondre qu’à une seule question : comment vais-je procéder pour obtenir tel résultat ? De cette manière, vous améliorez votre technique.
Comment expliquez-vous que le Concerto n° 4 soit aussi peu enregistré ?
C’est un ouvrage très particulier qui ne possède par la séduction immédiate du Concerto n° 2 avec ses immenses mélodies. Mais il est d’une inspiration très moderne et presque dérangeante, avec son harmonie inspirée de Scriabine, mais aussi de jazz et de néoclassicisme. Il est à mes yeux le plus difficile à exécuter. Je suis triste que peu d’interprètes le jouent, et parfois de manière si peu convaincante…
Etes-vous intéressé par d’autres compositeurs russes ?
Je ne suis pas un fanatique des œuvres pour piano de Prokofiev. On joue tout le temps les sonates "de guerre" [Sonates nos 6, 7 et 8]. Elles manquent, selon moi, de sophistication. J’apprécie la musique de Scriabine, mais je ne suis pas sûr qu’elle soit pour moi. L’écriture en est tellement torturée ! Je préfère l’univers de Chostakovitch, même si son répertoire pour le piano n’est pas ce qu’il a composé de plus marquant. C’est trop statique à mon goût. Je sélectionne certains Préludes et Fugues. D’autres me semblent plus adaptés à des transcriptions pour cordes.
Entretien avec Leif Ove Andsnes : L’anti-virtuose
Radio Classique
Le pianiste norvégien propose une version passionnante des "concertos pour piano numéros 3 et 4" de Rachmaninov.