Saviez-vous que l’alouette pouvait chanter 400 notes à la seconde ? Que le martinet noir dormait dans le ciel ? Que les bécasses savaient faire des pansements pour soigner leurs blessures ? Partageant l’émerveillement que lui inspire le peuple des airs depuis l’enfance, Allain Baugrain-Dubourg publie chez Plon un fascinant Dictionnaire amoureux dédié aux oiseaux, et lance du même coup un vibrant appel à la protection de la biodiversité.
Elodie Fondacci l’a rencontré.
EF : Allain Bougrain-Dubourg, bonjour.
ABD : Bonjour.
EF : Vous êtes journaliste – depuis 30 ans, vous émerveillez le grand public en lui présentant, à la télévision comme à la radio, la beauté du monde animal -, et vous êtes surtout un combattant pour la biodiversité en tant que président de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO). Vous nous offrez aujourd’hui un merveilleux Dictionnaire amoureux consacré aux peuples des airs. D’où vous vient votre science des oiseaux ?
ABD : Oh, je ne suis pas un scientifique des oiseaux ! Je suis même frustré de ne pas être capable de décrypter leur langage, leurs couleurs, leurs formes comme je le voudrais. J’ai des amis qui se promènent dans la forêt et qui savent ouvrir le grand livre de la nature simplement en entendant le chant des oiseaux (parce qu’on les entend plus qu’on ne les voit). Ça me fascine ! Moi je n’ai pas cette compétence, même si j’en reconnais quelques-uns quand mêmes ! Mais j’ai envie de dire que je suis tellement ému par les oiseaux qu’ils me donnent quelques compétences à parler d’eux.
Je pense que le peuple des airs est un monde admirable qui est notre miroir. Les oiseaux nous enseignent des choses fondamentales : la capacité de compassion comme ils la manifestent entre eux ; la capacité de dépassement lors des migrations ; la capacité de solidarité, la capacité de tendresse… Tant et tant de qualités essentielles, qui nous renvoient à nous. On se dit « Mais si l’oiseau peut le faire, pourquoi ne sommes-nous pas capables d’être comparables ? De s’élever par l’esprit et de bien d’autres façons encore, comme peut le faire l’oiseau ? » Je ne veux pas être radical bien sûr, ni dire que chez l’homme tout est à rejeter, alors que chez l’oiseau tout serait admirable… Mais quand même, je crois que l’oiseau peut nous guider vers le mieux. C’est en ce sens qu’il me trouble.
L’écriture de cet ouvrage m’a invité à revisiter beaucoup de souvenirs et aussi à convoquer des gens que je ne connaissais pas. Maurice Genevoix par exemple, dont j’ignorais jusqu’à présent qu’il s’était autant attardé sur l’oiseau dans ses livres. Ou bien George Sand, dont la grand-mère était oiseleur ! Elle connaissait vraiment très bien les oiseaux, et en parlait beaucoup à sa petite fille Aurore. Léonard de Vinci, bien sûr, qui s’est inspiré de l’oiseau – pas que de l’oiseau, du reste – pour initier ses engins volants. L’oiseau est partout présent ! Et voyez-vous il a quelque chose de singulier, l’oiseau : c’est qu’en principe on ne peut pas le toucher. On touche une mammifère, on touche un reptile, on touche un insecte… L’oiseau ne se laisse pas toucher, et pourtant, il est omniprésent autour de nous. C’est en ce sens que je le trouve respectable : il garde sa distance, tout en étant proche.
Et puis, c’est un indicateur de l’état de la biodiversité. Là où l’oiseau est présent, c’est l’ensemble du cortège du vivant – les petits mammifères, les insectes, les reptiles – qui s’épanouit. Là où les populations d’oiseaux disparaissent, c’est la biodiversité qui est atteinte. Et malheureusement, on voit bien que l’oiseau disparait. Près d’un tiers de ses populations se sont éteintes et voyez-vous, parfois je me dis : « A quoi ai-je servi quand on voit un tel bilan ? » Et je me console en me disant peut-être que si je n’avais pas été là, avec d’autres évidemment, ce serait pire encore
EF : C’est vrai que dans votre Dictionnaire amoureux il y a beaucoup d’oiseaux mais il y a aussi beaucoup d’hommes, beaucoup d’anonymes qui font un travail de terrain. Par exemple les « amis du busard cendré » qui vont sur le terrain voir les agriculteurs un à un pour les convaincre de prendre garde aux nids quand ils moissonnent leurs champs, ou alors « les amis de la cigogne », qui ont littéralement sauvé une espèce qui devait disparaitre. La protection des oiseaux, c’est toujours une affaire d’individus ?
ABD : Dans les années 70 il restait en effet moins de 10 couples de cigognes en France. On s’est battu, et aujourd’hui on peut dire qu’il y a plus de 4 000 couples de cigognes avec singulièrement une population très importante – peut-être même plus importante qu’en Alsace – en Charente-Maritime.
Pourquoi a-t-on réussi ? D’abord parce que les cigognes ont un comportement particulier : quand les jeunes naissent et que vous les empêchez de migrer pendant les trois premières années, elles se sédentarisent. Par conséquent, elles évitent tous les dangers de la migration, et finissent par constituer une population locale qui va générer des naissances nouvelles. On a posé des nichoirs – des mâts très grands, sur lesquels on a mis des roues de chariot avec des branchages par-dessus. Et là, sur ces lieux accueillants, les cigognes ont nidifié. Or, quand elles s’installent, elles deviennent assez fidèles au lieu.
Donc la cigogne pour moi est assez symbolique d’une certaine forme de victoire, avec quelques autres espèces d’ailleurs : les vautours, ou même d’une autre manière, les castors… Tous ces oiseaux et autres animaux qui disparaissaient dans les années 70 à cause du DDT, à cause de la chasse, à cause des pièges, ont été sauvés parce qu’on a établi des réglementations, parce qu’on les a accompagnés au plus près pour les aider, et aujourd’hui ces espèces emblématiques s’épanouissent pleinement. Le faucon pèlerin qui était victime du DDT et qui, quand la femelle pondait un œuf, voyait sa coquille trop fragile. Elle s’appuyait sur l’œuf pour couver et l’œuf s’effondrait sous son corps. C’était pathétique. L’espèce a vraiment failli disparaitre. Aujourd’hui elle nidifie dans la cathédrale d’Albi, et même à Paris dans le XVème arrondissement, c’est un vrai bonheur. Les vautours fauves qui avaient disparu du ciel cévenol sont devenus aujourd’hui un point d’intérêt touristique tellement ils sont nombreux ; même chose pour le gypaète barbu ! J’ai moi-même participé à beaucoup de réintroductions et tous ces efforts ont été payants.
Mais aujourd’hui on se retrouve dans une situation beaucoup plus inquiétante : c’est le déclin de la biodiversité dans son ensemble. On a laissé de côté le cortège de l’ordinaire du vivant. Pour arriver à préserver cette nature, il faut revisiter complètement les méthodes agricoles avec les produits chimiques qui empoisonnent la terre et les êtres. Il faut penser à l’artificialisation, l’asphalte et le béton qui rongent les espaces naturels, et agricoles du reste. Il faut penser évidemment au dérèglement climatique et à bien d’autres choses. Ce ne sont plus des engagements qui sont à dimension humaine. Autrefois, vous voyez, quand on surveillait une aire de rapace pour éviter que les jeunes soient braconnés, on était à dimension humaine. Moi j’ai fait ça avec les jumelles, on était planqué, etc… Quand on construisait un nid pour les cigognes on était à dimension humaine. Mais aujourd’hui ? Comment on fait ? Je rencontre le ministre de l’Agriculture, je vais lui dire qu’il faut revisiter les méthodes, qu’on part dans le mur, et qu’est-ce qu’il va me répondre ? « Oui Allain, on va faire au mieux », et puis on constate qu’on est pris dans un engrenage fou qui a démarré dans les 30 Glorieuses. On était tous admiratifs à l’époque. Même la LPO n’a pas mesuré les conséquences dans les années 30, de ce que ça pouvait représenter. Les pesticides ? Mais c’était prodigieux de pouvoir enfin produire davantage à un moment où on avait faim, au lendemain de la guerre. Les élevages en batterie ? Ohlala ! Le renard n’allait plus atteindre les 3 volailles dans la cour ! On allait produire des millions d’animaux ! C’était l’avenir.
Quel avenir ? Quelle tristesse, quelle déraison, quel manque de lucidité, et quel travail pathétique à engager aujourd’hui face à un mur d’indifférence. Je vous le dis, je rencontre les présidents de la République, les ministres en exercice… Alors oui, ils sont tous conscients, tous admiratifs de notre travail, et puis un jour pousse l’autre et le déclin de la biodiversité continue de s’accélérer. C’est très, très, très dur. Très dur.
EF : Vous n’avez pourtant pas baissé les bras. Vous continuez à combattre, jusqu’aux tribunaux. Qu’est-ce qu’on peut faire, nous, à nos toutes petites échelles ? Dans nos villes, dans nos jardins ?
ABD : Je crois que la première des choses, c’est peut-être d’adhérer à une association de protection pour la nature – la LPO de préférence mais il en existe d’autres – pour être solidaires. Parce qu’à l’égard de l’exécutif, du pouvoir, plus on est en nombre, plus on est écouté et parfois entendus.
Et puis, en plus, rentrer dans une association c’est rencontrer des gens admirables, des causes remarquables. C’est enrichissant je trouve. A la LPO où on est aujourd’hui 65 000 avec pas loin de 600 salariés (ce qui est colossal, c’est la 1ère association naturaliste de France), on a une passion commune. J’ai le sentiment que l’oiseau cimente nos relations et les conduit à être respectueuses, affectueuses, conviviales. Quand on parle de l’oiseau, on n’est pas en guerre. On fait parfois la guerre contre ceux qui en veulent à l’oiseau, mais on est porté par la paix. Je vous assure : la colombe de la paix ce n’est pas un hasard.
Après, concrètement, la LPO propose les refuges LPO. Une famille sur deux, en France, a un jardin. C’est considérable. Et bien, tous ces jardins peuvent devenir refuges. Il s’agit tout simplement de s’engager à ne pas mettre de pesticides, à ne pas chasser, à valoriser la biodiversité à travers des conseils que la LPO donne. C’est poser des nichoirs, mettre des hôtels à insectes, aménager une mare, planter des essences indigènes, que sais-je encore… Il y a actuellement plus de 40 000 refuges en France, et cela représente pas loin de 50 000 hectares donc ce n’est pas négligeable ! C’’est tout un réseau de gens qui découvrent, qui se passionnent pour la nature.
Vous savez, quand il y a eu la Covid, on a lancé un peu sous forme de boutade une opération qui s’est appelée « Confinés mais aux aguets ! ». On proposait aux gens, depuis leurs balcons ou leurs jardins, d’écouter, de regarder s’ils voyaient des oiseaux. Ça a été colossal ! En quelques semaines on a eu pas loin d’1 400 000 retours. Avec des témoignages extraordinaires où les gens disaient « La nature reprend ses droits ». Je n’aime pas trop l’expression moi qui voudrais tant l’harmonie entre l’homme et la nature… Mais qu’importe. Je crois tout simplement que la nature occupait un espace laissé vacant par l’absence de l’homme, elle ne « reprenait pas des droits ». Reprendre des droits, ce serait bénéficier d’un respect éternel : on est loin du compte. On n’est même pas dans l’harmonie alors que j’espère la complicité.
EF : Une dernière question, Allain Bougrain-Dubourg. Quel est votre oiseau préféré ? Est-ce que c’est un oiseau exotique ou est-ce que c’est finalement un petit passereau de notre enfance ? Alouette ou calao ?
ABD : Vous avez raison, ça pourrait être l’alouette. Je me bats beaucoup parce qu’on la piège de façon odieuse… Vous, à Radio Classique, qui vous intéressez à la beauté des sons, sachez qu’elle est capable de faire 400 notes à la seconde. C’est-à-dire que notre oreille n’identifie pas ce qu’elle nous offre à entendre ! Et puis je l’aime parce qu’elle fait Saint-Esprit… Je m’imagine montant sur une échelle invisible pour aller la rejoindre et lui souffler à l’oreille « petite alouette, l’homme t’a fait tant de mal, il chante même alouette je te plumerai, et puis il te piège de toutes les manières possibles, et bien moi j’ai une bonne nouvelle : le piégeage c’est interdit en France ». Malheureusement je ne peux pas monter à l’échelle pour lui souffler ça à l’oreille parce que ça perdure, c’est odieux. Non, l’oiseau de mon cœur c’est le martinet noir. C’est un oiseau qui dort dans le ciel, vous vous rendez compte ? Il boit en vol, il mange en vol, il fait l’amour en vol, et le soir, il monte dans les courants ascendants et il va dormir dans le ciel. Admirable…
Le Dictionnaire amoureux des oiseaux, publié chez Plon par Allain Bougrain-Dubourg.