Erik Satie n’a composé qu’une cinquantaine d’œuvres, dont certaines très courtes, en s’éloignant des préceptes académiques. Ses Gymnopédies restent son œuvre la plus connue et la plus jouée aujourd’hui. Il a ouvert la voie à nombre de compositeurs cherchant à sortir des formats traditionnels, jusqu’aux musiciens dits « minimalistes ».
Erik Satie en 10 dates :
- 1866 : Naissance à Honfleur
- 1879 : Admis au Conservatoire de Paris
- 1887 : Installation à Montmartre
- 1888 : Gymnopédies (composition)
- 1889 : Gnossiennes (première publication, la dernière étant en 1897)
- 1898 : Installation à Arcueil
- 1903 : Trois morceaux en forme de poire (composition)
- 1917 : Parade (ballet, création)
- 1924 : Relâche (ballet, création)
- 1925 : Mort à Paris
Une enfance chaotique, traversée par les deuils de figures maternelles
À six ans, il perd sa mère, puis à douze sa grand-mère qui s’occupait de lui à Honfleur, il rejoint alors son père qui est remarié avec une professeur de piano. Elle lui apprend l’instrument mais il rejette son enseignement. Il entre au Conservatoire à treize ans, en est renvoyé deux ans plus tard, puis est réadmis fin 1885. Mais décidément ce n’est pas pour lui et il le quitte avant les examens de fin d’étude.
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Satie écrit les Gymnopédies lorsqu’il fréquente les cabarets de Montmartre
Ces trois œuvres pour piano sont composées peu après l’installation de Satie à Montmartre, où il va mener la vie des poètes et des artistes, jouant du piano dans les cabarets et prenant des habitudes de boisson un peu forte. Il fréquente le cabaret « Le chat noir » où règne Alphonse Allais, né lui aussi à Honfleur, et qui l’appelle « Esoterik Satie » ! Son humour radical, fait de provocation et de dérision, Satie le poussera très loin, jusqu’à prendre le risque d’une marginalisation qui lui coûtera cher. Les Gymnopédies, dont le nom est inspiré de danses grecques de l’Antiquité, constituent une œuvre totalement innovante, en rupture avec toutes les règles académiques. Debussy en fera l’orchestration (pour deux pièces). Ravel en deviendra aussi un défenseur et lui restera fidèle malgré les sarcasmes de Satie à son égard.
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Les Gnossiennes, ou lorsque Satie s’intéresse à l’occultisme des Rose-Croix
De 1889 à 1897, il compose six Gnossiennes, du mot grec «gnosis »qui signifie connaissance. Satie devient dans cette période un adepte quelque peu mystique des Rose-Croix, ordre ancien du début du XVIIème siècle, qui a retrouvé deux siècles plus tard une certaine visibilité, si l’on peut dire pour une secte éprise d’occultisme ! Il n’y restera pas longtemps mais compose tout de même des œuvres commandées par son leader en France, Joséphin Péladan, avec qui il rompt en 1892 pour fonder sa propre Eglise… mais dont il sera le seul fidèle !
Gnossienne n°1 par le pianiste Daniel Varsano
Parade : installé à Arcueil, Satie se voit proposé par Cocteau d’écrire un ballet pour Diaghilev
Après avoir quitté Montmartre pour Arcueil, Satie embrasse des idées politiques socialistes, s’engage dans des actions sociales locales en collectant des fonds ou en organisant des goûters pour les personnes déshéritées. Satie est l’une des figures de proue de l’Avant-Garde, il sera proche du Groupe des Six et inspirera l’ École d’Arcueil. Il continue de composer, en lien avec Debussy et Ravel, notamment en 1903 sept pièces de piano qu’il nomme Trois Morceaux en forme de poire, par ironie vis-à-vis des détracteurs de Pelléas récemment créé, qui reprochaient l’absence de forme au chef d’œuvre de Debussy. Il connaît ensuite, un peu avant la guerre, une période faste pour ses œuvres musicales, restées jusqu’alors très confidentielles, grâce à des artistes en vue, comme le pianiste Ricardo Vines qui met à son répertoire à partir de 1913 les œuvres de Satie.
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En 1916 Jean Cocteau monte au Châtelet un spectacle de ballet très original avec les Ballets russes de Diaghilev, Picasso pour les décors et costumes et Satie pour la musique. Le scandale à la création de Parade en pleine guerre est immense, les amis de Cocteau et d’Apollinaire qui a écrit la notice de présentation en évoquant une pièce « sur-réaliste », s’affrontent aux défenseurs de la musique traditionnelle. Satie s’en prend à un critique en termes assez crus, et les choses auraient pu mal tourner. Mais sa notoriété parisienne le protège. D’ailleurs il a reçu pour la première fois une commande d’une mécène, la princesse de Polignac. Ce sera Socrate, inspiré des Dialogues de Platon, et d’esprit « cubiste » selon Satie, dont la version pour piano est créée en juin 1918.
Après l’échec du ballet Relâche, Satie termine sa vie dans la pauvreté
L’ultime fait d’armes de Satie est en 1924 la musique du ballet Relâche créé au Théâtre des Champs Elysées, par Picabia et les Ballets suédois avec, projeté à l’entracte, le film de René Clair Entr’acte. C’est encore un scandale. Les critiques sont toutes négatives, même de la part de ceux qui étaient auparavant pro-Satie. Il en est d’autant plus affecté qu’il vient d’essuyer un échec avec un autre ballet Mercure. Retiré dans une petite chambre à Arcueil, il tente de cacher sa situation de pauvreté matérielle. Il est devenu tellement misanthrope, fâché avec presque tous ses collègues artistes, à part Darius Milhaud qui a transcrit pour deux pianos la musique d’Entr’acte, qu’il sombre dans la dépression. Ses derniers amis, voyant qu’il ne peut plus rentrer à Arcueil le soir, lui trouvent une chambre d’hôtel à Paris. Puis c’est l’hospitalisation, et enfin la mort le 1er Juillet 1925.
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Dans la deuxième moitié du XXème siècle, un fervent admirateur de Satie s’inspire de sa musique : John Cage. Son audace, y compris dans la dérision, le fascine. Cage ira encore plus loin dans l’idée d’indétermination et de répétition. Les compositeurs « minimalistes » des années 60 semblent eux aussi redevables à Satie, notamment pour son économie du matériau. A l’époque de Debussy, Ravel ou Poulenc, Satie est alors un précurseur.
Philippe Hussenot